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l’assistance de son propre tribunal, il pouvait ordonner quatre-vingt-dix-neuf coups de bâton ou quatre-vingt-neuf jours de prison; pour les peines plus graves, il fallait remonter aux tribunaux supérieurs; pour l’exécution à mort, l’assentiment du roi, c’est-à-dire de l’empereur d’Autriche, était nécessaire.

Une pareille organisation suffisait pour stériliser la contrée la plus fertile. Ce n’était pas tout encore. Un privilège auquel la noblesse hongroise tenait beaucoup moins par intérêt que par orgueil était celui de ne pas payer d’impôts. Possédant à peu de chose près la totalité du territoire, elle était exempte de toute imposition foncière et de la plupart des taxes indirectes. Le poids des charges publiques retombait en totalité sur des paysans ordinairement pauvres, de sorte qu’en définitive les provinces orientales, les plus riches naturellement, contribuaient dans une proportion cinq fois moindre que le reste de l’empire. Mais, sans impôts, pas de travaux civilisateurs : les seules voies de communication étaient de mauvais chemins à peine déblayés par les paysans au moyen de corvées.

Un autre inconvénient était la nécessité de protéger les contrées soumises à l’impôt contre la concurrence commerciale de celles qui en étaient exemptes. La Hongrie, où le droit de consommation sur les liquides n’existait pas, eût trop facilement ruiné les vignobles de l’Autriche ou de la Lombardie. Entre les provinces autrichiennes, où la fabrication du tabac était monopolisée par le gouvernement, et la Hongrie, où cette industrie était libre, la différence de prix était de 1 à 6 pour les tabacs à fumer, et de 1 à 12 pour les tabacs à priser. Il a donc fallu établir sur une ligne qui, en raison de ses sinuosités, présente un développement de plus de 1,800 kilomètres, un service de douanes intérieures destiné à séparer commercialement la Hongrie du reste de la monarchie. Que de peine pour intercepter cette circulation, qui aurait tout vivifié ! Entre les provinces allemandes et hongroises, il y avait 685 douanes-frontières, 63 douanes centrales, 50 douanes secondaires dans diverses parties de l’intérieur, 71 stations pour contrôler les marchandises sur les routes, sans compter les escouades organisées militairement pour courir sus aux contrebandiers, ni les inspections pour surveiller les employés des bureaux; sans compter enfin une organisation également compliquée pour le service spécial de la Transylvanie. Bref, l’isolement des provinces orientales exigeait un personnel de 19,124 agens et une dépense de 11,770,000 francs!

Ainsi immobilité féodale qui paralysait le propriétaire, inertie du paysan indifférent aux progrès de la culture, absence de crédit, manque de routes, isolement commercial, tout semblait combiné pour neutraliser les ressources de la Hongrie. Malgré tout,