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Territoire vaste et fertile, richesse et variété des produits, position heureuse entre l’Occident et l’Orient, population intelligente et d’une vitalité remarquable, elle réunit tous les élémens de prospérité. Pourquoi donc la nation hongroise est-elle restée presque étrangère aux travaux civilisateurs, et d’où vient qu’aujourd’hui on a lieu d’espérer pour elle un développement rapide ? pour répondre à ces deux questions, il suffit de rappeler ce qu’était encore la Hongrie avant les tentatives de rénovation qui datent de trois ou quatre ans seulement.

Occupée par une race guerrière et conquérante, sorte de colonie militaire opposée par l’Europe chrétienne aux envahissemens des barbares orientaux, la Hongrie s’est organisée sur le type des milices féodales du moyen âge, et telle elle était encore lorsque arriva la crise de 1848. Sous la féodalité, la terre était donnée au noble à titre de solde militaire, et le noble, payant de sa personne comme soldat, était exempté du paiement de l’impôt en argent. Toutes les propriétés hongroises venaient ainsi de donations faites à la caste noble à titre de fiefs, et elles faisaient retour à la couronne à l’extinction de la famille qui les avait reçues. On a distingué jusqu’à ces derniers jours deux espèces de fiefs, les fiefs mâles, dans lesquels les filles, si nombreuses qu’elles fussent, n’avaient droit qu’à un quart du patrimoine, et les fiefs mâles et femelles, dans lesquels les partages étaient égaux à tous les degrés de la descendance. Le premier possesseur d’un fief mâle avait le droit de le rendre mâle et femelle : il suffisait pour cela de sa simple déclaration; mais, en cas d’extinction des branches masculines, les branches possédant des biens domaniaux venus par les femmes étaient dépouillées, et leurs terres faisaient retour à la couronne. Ces prescriptions, qui nous semblent si choquantes, sont la déduction naturelle du principe féodal. Dès qu’il est admis que la propriété foncière est la solde d’un service, il est tout simple que la solde soit retirée dès que le service n’est plus accompli. C’était encore en vertu du même principe qu’une propriété vendue faisait retour au domaine royal quand la famille titulaire s’éteignait, à moins toutefois que le roi n’eût autorisé la vente : on supposait alors que l’acheteur avait reçu personnellement l’investiture d’u fief.

Il va sans dire que, pour pouvoir posséder des terres en Hongrie, il a fallu, jusqu’en 1848, être Hongrois et noble. Or la transmission de la propriété et l’emprunt sur hypothèques étaient entourés de tant de difficultés et de tant de périls, que le noble propriétaire ne trouvait qu’à grand’peine l’argent indispensable pour les améliorations agricoles. En cas d’extinction de la famille de l’emprunteur, la couronne rentrait en possession du domaine, et le créancier avait perdu les sommes avancées. La clause féodale du retrait lignager