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figure sur laquelle mes yeux se fixèrent d’abord et demeurèrent obstinément attachés, en dépit de toutes les manœuvres exécutées par les autres sultanes pour les faire tourner de leur côté. Je ne me souviens pas d’avoir jamais rien vu de plus beau. Cette femme portait une longue robe traînante en satin rouge, ouverte sur la poitrine, qui était légèrement voilée par une chemise en gaze de soie, à larges manches pendantes au-dessous du coude. Sa coiffure était celle des Turcomanes, et pour s’en faire une idée, il faut imaginer une complication, une multiplicité infinie de turbans placés les uns sur les autres, ou les uns autour des autres, s’élevant à d’inaccessibles hauteurs. Il y avait là des écharpes rouges roulées six ou sept fois en spirales et formant une tour à la façon de la déesse Cybèle; des mouchoirs de toutes les couleurs se croisant avec les écharpes, montant ou descendant sans parti pris à l’avance, et dessinant de fantasques arabesques; des mètres et puis encore des mètres de fine mousseline enveloppant de leur transparente blancheur une partie de l’échafaudage, encadrant soigneusement le front et tombant en riches et légères draperies le long des joues, autour du cou et sur la poitrine. Des chaînettes en or, ou de petits sequins enfilés les uns aux autres, des épingles en pierreries ou en diamans piquées dans la mousseline, se balançaient gracieusement entre les plis et leur imprimaient une certaine stabilité, qu’il eût été déraisonnable de demander à un tissu aussi léger. De petits pieds d’enfant qui semblaient taillés dans le marbre paraissaient et disparaissaient tour à tour sous la longue robe de satin rouge, tandis que des bras et des mains comme je n’en vis jamais secouaient un nombre infini de bracelets et de bagues dont le poids ne devait pas être insignifiant, et qui scintillaient comme de vrais diamans. Tout cela formait un ensemble à la fois bizarre et gracieux, mais tout cela disparaissait subitement dès que l’on avait vu le visage qu’entouraient ces draperies flottantes, et qu’une si grande toilette était supposée embellir. Ce visage était d’une beauté singulière, que je renonce à décrire, car comment donner à qui n’a pu le contempler l’idée d’un si charmant chef-d’œuvre de la nature, d’un si ravissant mélange de grâce et de timidité ?

J’ai dit que chacune des deux nouvelles venues traînait, accrochés à sa robe, les enfans issus de ses entrailles, absolument comme la mère des Gracques. Ma beauté, au contraire, marchait seule à la suite de ses moitiés (c’est ainsi qu’on désigne en Orient le degré de parenté qui consiste à avoir un mari commun). Elle avait la tête baissée, et l’air plutôt humilié qu’humble. Je fis à la hâte mon compliment aux deux premières, car j’étais impatiente d’arriver à la dernière, et de voir ce que deviendrait ce beau visage lorsqu’il s’animerait par la conversation. Je la salue; elle ne me répond pas. Je lui