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lieu que dans le cas où la dame n’est plus d’âge à aspirer à un parti plus brillant. Le serviteur se trouve, grâce à ce mariage, un peu plus riche qu’il n’était, et après quelques années de fidélité conjugale, s’apercevant que les années ont marché plus vite pour sa femme que pour lui, il profite de sa fortune pour s’adjoindre une compagne plus à son goût. Je ne connais guère de paysans polygames que ceux qui ont épousé dans leur première jeunesse une vieille femme possédant quelque bien.

A part cette exception, le ménage du paysan turc ressemble à celui du paysan chrétien, et, je le dis à regret, le premier pourrait souvent servir de modèle au second. A fidélité égale, l’avantage appartient au Turc, car la fidélité ne lui est imposée ni par la loi religieuse ou civile, ni par l’usage ou les mœurs, ni par l’opinion publique, et il n’y est porté que par la douceur de son naturel, qui répugne à la pensée d’affliger sa compagne. Jamais non plus il ne lui fait acheter par de mauvais traitemens, ni même par de la mauvaise humeur, le privilège dont il ose la dépouiller, d’être seule maîtresse au logis; jamais il ne se dédommage, en la rendant malheureuse, de la contrainte qu’il s’impose à cause d’elle. Ce sont là de ces petites lâchetés dont son âme simple et généreuse est incapable. La tradition de la faiblesse féminine n’est pas tombée dans le domaine de la fable en Orient, et les égards auxquels la faiblesse a droit de la part du plus fort y sont encore pris au sérieux. La femme étant réputée faible, tout lui est permis, tout, ou à peu près. Se mettre en colère sans motif, ne pas avoir le sens commun, parler à tort et à travers, faire juste le rebours de ce qu’on lui demande et surtout de ce qu’on lui ordonne, ne travailler qu’autant qu’il lui plaît, dépenser à sa fantaisie l’argent gagné par son mari, se dire malade, se plaindre sans rime ni raison, tels sont ses privilèges. En vertu de quelle loi, ou de quelle institution, par l’effet direct ou indirect de quelle coutume ou de quel principe en jouit-elle ? La loi la livre sans défense au caprice de son seigneur et maître, l’usage la condamne. Ce n’est donc que la bonté du cœur, la tendresse, la générosité naturelle de l’homme, qui assurent à la femme une impunité presque absolue.

Le paysan turc aime sa compagne comme un père et comme un amant; jamais il ne la contrarie sciemment et volontairement, et il n’est pas de contrariété à laquelle il ne se soumette de bonne grâce pour l’amour d’elle. La femme vieillit de bonne heure dans ces climats, sous l’influence d’une nourriture grossière et malsaine et de couches fréquentes dont ni l’art ni la science n’atténuent le danger. L’homme au contraire, mieux constitué pour supporter les fatigues et les privations, jouit d’une verdeur presque éternelle. Rien n’est