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dont nous allions atteindre les premières pentes sans pouvoir encore en découvrir la profondeur. Nous sûmes bientôt la cause de cet attroupement, qui n’avait rien de très redoutable : les familles d’un parti de montagnards, campées avec leurs troupeaux dans la vallée voisine, venaient nous présenter leurs hommages, pendant que les pères et les maris étaient en campagne. Nous nous montrâmes fort sensibles à cette attention, et, après avoir jeté quelques piastres à ces bienveillantes matrones, nous continuâmes notre route au grand regret d’une de ces dames, qui avait conçu l’espoir d’obtenir de nous du vieux linge! J’eus beaucoup de peine à lui faire comprendre que je n’avais pas le loisir de chercher dans mes malles l’objet de sa convoitise. Je croyais, en véritable Occidentale, que l’argent pouvait tenir lieu, sinon de tous les biens de la terre, du moins de ceux qui sont à vendre ou à acheter. La bonne dame à qui j’essayais de faire partager cette conviction me répondit que j’avais beau lui donner de l’argent, que jamais elle n’en aurait de trop pour s’acheter du pain, et qu’il lui manquerait toujours de quoi satisfaire ses goûts en fait de vieux linge !

A quelques pas plus loin, nous rencontrâmes une vingtaine de cavaliers passablement montés, assez bien armés et commandés par un homme de haute taille couvert d’un de ces amples manteaux de drap rouge coupés à la façon de nos châles et que portent les Kurdes du midi. Le chef de notre escorte et le personnage vêtu à la kurde se saluèrent et s’abordèrent comme de vrais frères d’armes. Notre capitaine me présenta le cavalier au manteau rouge en me faisant connaître son nom et son titre : c’était Dédé-Bey, lieutenant de Mustuk-Bey, prince de la montagne. Le lieutenant avait appris mon passage dans les états du prince; il était venu m’offrir ses services et ceux de ses gens, promettant de me faire arriver sans obstacle ni encombre à la résidence de son souverain Mustuk. Il ne me restait qu’à remercier ce lieutenant, ce que je fis du mieux que je pus. Dédé toutefois était un trop grand personnage pour se mettre lui-même à la tête de l’escorte qu’il m’amenait. Il adressa à ses soldats une courte allocution pour leur rappeler les égards que leur imposaient envers moi ma qualité de voyageuse et l’honneur même des populations du Djaour-Daghda, intéressé à ce que je fisse avec une pleine sécurité la traversée de ce dangereux territoire. Leur devoir était-de me conduire chez le grand bey Mustuk, et il avait lieu de croire que ce devoir serait ponctuellement rempli. Après avoir ainsi admonesté sa petite armée, Dédé en remit le commandement à un de ses officiers, puis il remonta à cheval et disparut dans un labyrinthe de rochers.

L’endroit où se passait cette scène me frappa par son aspect