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Qu’était-ce donc que ce Djaour-Daghda dont on me faisait, pendant mon séjour à Adana, toute sorte de descriptions peu rassurantes ? On désigne ainsi une chaîne de montagnes trois fois aussi grande que l’Auvergne. La population du Djaour-Daghda (je répète ce qu’on m’a dit, sans rien garantir) est de cinq cent mille âmes. Cette population se divise en deux groupes qu’on pourrait appeler les faibles et les forts, ou bien le groupe sédentaire et le groupe mobile : le premier habite les villages, le second hante les grandes routes. Disons un mot des uns et des autres.

La partie sédentaire et pacifique de cette population se compose des vieillards, des femmes et des enfans. De nombreux villages épars sur le flanc des montagnes ou tapis au fond des vallées lui servent d’asile. Je dois reconnaître à ce propos que le musulman a un goût inné pour les beautés de la nature. Ses villages sont toujours bâtis à l’ombre de beaux arbres, au milieu de vertes pelouses, ou sur le bord de ruisseaux limpides. Demandez-lui pourquoi il choisit tel lieu plutôt que tel autre pour y fixer sa résidence, il sera fort embarrassé de vous répondre. Lui-même ne s’explique pas sa préférence. Il obéit, en recherchant les sites pittoresques, au même instinct qui dirige l’aigle au haut des rochers, qui pousse l’hirondelle à se nicher sous les toits, le martin-pêcheur à s’abriter dans les ajoncs, la caille à se blottir dans les blés. Au pied de cet arbre, au sommet de cette colline, il a entendu les murmures de l’eau dans les hautes herbes et du vent dans la forêt voisine : il a trouvé l’ombre douce et l’air parfumé, il s’est arrêté. A quoi bon aller plus loin ? Ainsi s’élève un village turc, parce qu’un lieu s’est rencontré où il paraissait bon de vivre, où la nature se montrait riche et souriante. Bien différens dès Tures, les Grecs ne voient dans l’emplacement d’un village que le côté positif. Le terrain est-il solide ? les pierres à construction sont-elles nombreuses ? les communications avec les marchés hebdomadaires sont-elles faciles ? — Telles sont les grandes questions qui préoccupent les Grecs, et non sans raison, dans le choix d’une résidence. Ils ne dédaignent pas non plus le voisinage des beaux arbres, mais c’est pour transformer les troncs en planches, et les branches en fagots. Aussi distinguerez-vous de loin à première vue un village grec d’un village turc. Le premier attriste et repousse, le second charme et attire, flous devons ajouter à regret que la différence cesse quand on pénètre dans les rues. Maisons grecques et maisons turques, vues de près, paraissent toutes également laides, sombres et inhabitables.

Des villages passons maintenant aux grandes routes. Nous y rencontrerons, je l’ai dit, la partie valide de la population du Djaour-Daghda, Ce ne sont pas des voisins fort commodes que ces rudes