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Nous n’avons pas l’intention d’en médire, mais c’est précisément parce que nous savons le rôle important que l’industrie est appelée à jouer dans la société moderne que nous voudrions la voir soumise à une influence morale. Le sort des classes moyennes est en grande partie attaché à ses destinées. Si l’industrie, revenant de ses erreurs, entre dans des voies meilleures, le triomphe des classes moyennes est assuré; si elle fait fausse route, les classes moyennes, et par conséquent la société tout entière, sombreront et périront, car l’industrie est un grand fait en ce qu’elle est un des moyens de réalisation de l’une des idées principales de la révolution française. Quels sont les principes de la révolution ? Est-ce la devise : liberté, égalité, fraternité ? Non, cette formule trop métaphysique implique plutôt des désirs et des tendances lointaines. Cette formule renferme les vœux de la révolution plutôt que ses principes. Si l’on dégage l’œuvre de la révolution de ses désirs chimériques, de ses rêves, de ses réminiscences antiques, de ses théories matérialistes, on trouve qu’elle se réduit à deux points principaux : à savoir la substitution de l’idée du travail à l’idée du privilège, et la substitution de l’idée de fonction à l’idée de naissance. Les titres nobiliaires n’entraîneront plus le commandement, et ne donneront plus à l’homme de droits sur l’homme. Le privilège ne donnera plus à l’homme de droits sur le sol ou la richesse générale. Le commandement ne sera plus qu’une fonction comme l’obéissance, et la richesse ne sera plus que le résultat du travail. Une hiérarchie nouvelle, — dans laquelle, du dernier au premier degré de l’échelle, chacun n’exercera plus que des fonctions qui lui seront déléguées, au nom de l’universalité des citoyens, par la personne abstraite de l’état, — étendra son réseau sur toute la société. Tel était le plan idéal de la révolution française et le véritable sens de ses réformes. Qui ne voit que la réalisation de ce plan demande des vertus hors ligne, un travail acharné sans espoir de grande récompense, puisque dans cette nouvelle hiérarchie le travail ne confère qu’un grade personnel et non pas un titre, — un grand dévouement à la société, une singulière modestie, car des fonctions qui n’entraînent aucun rang supérieur ne sont pas faites pour tenter ? La gloire, la vanité, l’orgueil, ne pouvaient trouver leur compte à un tel plan. Ce que la société demandait primitivement à ses gouvernans était au contraire un héroïsme obscur, une intégrité toute bourgeoise, une assiduité de commis, un bon sens d’homme d’affaires. Pour réaliser ce plan d’une société fondée sur l’idée de travail et l’idée de fonction, deux moyens se présentaient : l’administration et l’industrie. Soumise au contrôle immédiat de l’état, l’administration est restée fidèle au programme de la révolution; mais l’industrie, qui échappe à ce contrôle, a perdu bientôt de