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dans une maison d’aliénés, et Thomas fut congédié avec une très raisonnable pension, récompense des services bizarres qu’il avait pu rendre à ses bizarres maîtres.


II. – LE PAUVRE ARTISTE.

Quelque temps après, sur les conseils d’un ami et avec l’aide de l’argent qu’il me prêta généreusement, je quittai Concord et j’allai m’établir à New-York, où la fortune m’attendait, paraîtrait-il, car aussitôt que j’y fus arrivé, ma destinée changea. C’est là que se sont passés la plupart des événemens dont j’offre le récit au public.

— Pauvres créatures ! comment passeront-ils les longs mois de l’hiver ?

Telle fut l’exclamation qui frappa mes oreilles un soir de décembre 1830, pendant que je déchaussais mes socques et que la servante secouait la neige qui couvrait mon paletot, car il faisait ce soir-là une de ces tempêtes de neige si fréquentes de mon temps, mais qui maintenant sont devenues aussi rares que les visites des anges.

— Puis-je demander quel est l’objet spécial de votre commisération ? dis-je en m’avançant vers deux jeunes dames (mes nièces) assises devant le feu et tellement absorbées par leur conversation, qu’elles ne m’avaient pas entendu entrer.

— Oh ! dit ma femme, nous parlions d’une pauvre famille que nous sommes allées visiter aujourd’hui, et qui est plongée dans la plus profonde misère ; les jeunes filles se sont intéressées à elle, et désiraient faire tout leur possible pour la secourir. Mary avait arraché à la jeune femme son nom et son adresse : « Katrina Janssen, 16, Water-Street. » Ce matin, après déjeuner, j’ai fait atteler, et, après une courte promenade nous sommes allées visiter les protégés de ces demoiselles.

— Katrina Janssen ? dis-je ; Janssen est un nom danois. Sont-ils étrangers ?

— Ils sont Danois, répondit ma femme ; mais la mère parle un anglais très pur, et le mari ne trahit son origine étrangère que par un très léger accent.

— Quelle est la profession du mari ?

— Il est artiste, à ce que m’a dit la femme, car il a à peine prononcé une parole, et il ne semblait pas très satisfait de ma visite. Peut-être est-il honteux de laisser voir sa pauvreté, car ils sont évidemment pauvres, pauvres autant qu’on peut l’être ; en outre il est trop malade pour parler. Sa femme m’a dit qu’il n’avait pas de médecin