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mais celui qui a vécu quelque temps au milieu d’elle s’aperçoit bien vite qu’elle est en réalité fondée sur l’industrie. Si son intelligence est trop bornée pour le lui faire comprendre, les besoins et les nécessités de la vie se chargent bientôt de lui démontrer que le monde n’est plus qu’une vaste maison de banque dont la loi et les prophètes se résument dans cet axiome grossier d’un célèbre socialiste : Qu’est-ce que je te dois ? Qu’est-ce que tu me dois ? — C’est à l’industrie seule que se rapportent nos mœurs, nos habitudes, nos arts et même nos révolutions.

La révolution française a été un fait de négation et de démolition. Elle a eu deux buts : renverser l’ancien régime et en établir un nouveau. Elle a su atteindre le premier de ces deux buts; quant au second, il est resté à l’état de désir et d’espoir. Chacun en a vu l’accomplissement dans le système qui lui était propre ou dans le principe qui lui était cher. En réalité, il serait fort difficile de dire quel est l’idéal de la révolution française. Est-ce l’idéal des constituans ou l’idéal des conventionnels ? Est-ce la république girondine ou l’utopie de Robespierre ? Est-ce la république militaire ? Qui le dira ? Mais une chose certaine, c’est que si la révolution n’a point fondé de régime nouveau, si cette bizarre personne abstraite, qui semble agir par voie d’expérimentation, comme un être vivant, et faire progressivement son éducation, s’est bornée à des essais et à des expériences, elle a détruit si radicalement l’ancien régime, que, pour employer l’expression célèbre d’un des hommes politiques qui ont le mieux connu leur époque, elle n’a laissé debout que des individus.

Cela étant, comment ces individus épars, isolés, ne se rattachant plus les uns aux autres par aucun lien hiérarchique, vont-ils se gouverner ? A qui auront-ils recours pour être protégés au milieu de cette transformation incessante du monde politique, et sur quoi fonderont-ils leur avenir et celui de leur famille ? A qui, en un mot, auront-ils recours pour n’être pas broyés par les expériences de la révolution ? Deux moyens de salut se présentent alors, — un expédient et un fait.

L’expédient, c’est la puissance de l’état avec tous les formidables instrumens dont il dispose, — centralisation administrative, force armée, — l’état qui, permanent au milieu de toutes les fluctuations politiques, remplit toujours et exactement les mêmes fonctions mécaniques sous la main d’un constitutionnel ou d’un chef militaire, d’un royaliste ou d’un républicain. — Le fait, c’est l’industrie. Née, à vrai dire, de l’analyse scientifique du XVIIIe siècle, l’industrie semble être arrivée à point nommé dans le monde pour donner une base aux sociétés qui allaient tout à l’heure n’en plus avoir. Les rêveurs et les politiques, les poètes et les philosophes ont passé à côté du fait; ils l’ont constaté sans compter beaucoup sur lui pour réparer les