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PERSPECTIVES
SUR
LE TEMPS PRÉSENT


DE LA TOUTE-PUISSANCE DE L’INDUSTRIE.


Il est un livre dont je recommanderais volontiers la lecture à toutes les jeunes intelligences de ce temps-ci : c’est le Wilhelm Meister de Goethe. Il contient tout juste la dose d’abstraction qu’on peut supporter à vingt ans, au milieu des ardeurs du sang, à l’époque où l’âme, encore toute matérielle, n’a qu’indifférence pour le monde moral, et où l’esprit manque de force d’attention. L’amer breuvage y est présenté dans une coupe d’or brillante, non par de sérieux philosophes ou d’austères savans, mais par les personnages les plus gracieux et les plus aimables, par des enfans, par des jeunes femmes, par des moralistes mondains, par des artistes et des comédiens. Tous les compagnons de folie et de plaisir que le jeune homme recherche dans la vie, tous les tuteurs bienveillans et faciles dont il désire les conseils dans ses jours de tristesse ou dans ses momens d’embarras sont les acteurs mêmes du livre, et de leurs lèvres tombent à la fois les préceptes de la sagesse et les promesses du bonheur. On y cause d’amour et d’art, de religion et de théâtre ; tout ce qui embellit et orne la vie y reluit de toutes parts ; rien de ce qui ennoblit la vie n’y est oublié. On y marche sur une terre toute semblable à celle que nous foulons, bien ferme et bien réelle ; mais au-dessus brille le soleil de l’idéal, et tout un monde bigarré et fantasque s’agite sous ses rayons. Là, dans ce château, habite un philosophe pratique qui