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clairement la magnificence des dons que la Providence a faits à l’homme.

Cette libéralité de la végétation spontanée s’empare si vivement de l’imagination, qu’elle trompe sur la véritable nature de ces présens. On se persuade aisément que l’homme n’a rien à faire et qu’il lui suffit de récolter sans semer. Cette erreur fondamentale a été partagée par le programme même de l’exposition. La seconde classe porte pour titre : Art forestier, Chasse, Pêche et autres produits obtenus sans culture. Ces mots sans culture peuvent être exacts quand il s’agit de régions sauvages, comme les déserts de l’Amérique, de l’Afrique ou de l’Asie ; mais dès qu’ils s’appliquent à des contrées peuplées et civilisées, comme la France et la plus grande partie de l’Europe, ils cessent d’exprimer une idée vraie. Le mot art forestier, dont on se sert en même temps, implique contradiction. C’est en effet un art et un art très savant que l’exploitation bien entendue des richesses forestières. Dès que l’homme arrive et se multiplie quelque part, il est par le seul fait de sa présence un agent puissant de destruction, s’il ne s’exerce pas à reproduire sans cesse ce qu’il consomme. Quand ils ne sont pas l’objet d’une culture spéciale, les bois disparaissent dans tous les pays habités, et leur disparition peut devenir mortelle à l’homme lui-même. Le gibier et le poisson, à qui s’appliquent les mots de chasse et de pêche, disparaissent aussi, pour peu qu’on n’en prenne pas soin, et ce sont des pertes plus sérieuses qu’on ne croit ; l’un et l’autre peuvent servir sensiblement à nos besoins comme à nos plaisirs.

Je n’insisterais pas sur cette observation, qui peut paraître puérile, si le préjugé que je combats n’avait les plus grands dangers. Le code forestier lui-même semble l’admettre. Il fait une distinction entre les bois semés de main d’homme et ceux qui viennent naturellement, et pour les uns comme pour les autres, il punit moins sévèrement les délits que pour les autres produits ruraux. Le peuple des campagnes a les mêmes idées ; tel qui se ferait scrupule de prendre une poignée d’épis maraude sans hésitation dans les bois. C’est un grand et funeste abus. Rien ne nous est donné à titre gratuit. Les déprédations l’ont plus de mal dans les bois qu’ailleurs ; quand la dent des troupeaux offense les tiges naissantes, elle emporte avec la récolte de l’année celle des années suivantes, et détruit mille pour avoir un. Même quand cette nature de propriété ne reçoit aucun soin apparent, elle forme un capital qui s’échange avec tous les autres ; elle est soumise à l’impôt et aux autres charges qui grèvent les immeubles, elle a de plus des servitudes particulières et lourdes à porter, elle entraîne des frais indispensables de garde, d’assurance et d’exploitation. À plus forte raison, quand elle est soignée comme