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partager les périls des conjurés ; mais le plus grand, le plus solide espoir du comte de Soissons reposait sur l’Espagne : elle seule pouvait le mettre en état de sortir de Sedan, de marcher sur Paris, et de briser le pouvoir de Richelieu ; aussi envoya-t-il à Bruxelles un de ses gentilshommes les plus braves et les plus intelligens pour négocier avec les ministres espagnols et en obtenir de l’argent et des soldats. Ce gentilhomme s’appelait Alexandre de Campion. Il rencontra à Bruxelles Mme de Chevreuse, et lui fit confidence de la mission dont il était chargé. Elle s’empressa de le seconder de tout son crédit. Comme nous verrons reparaître plus d’une fois ce personnage dans la vie de Mme de Chevreuse, et au milieu des plus tragiques aventures, il nous faut bien nous y arrêter quelques momens et le faire un peu connaître.

Lui-même au reste a pris soin de se peindre dans un ouvrage intitulé Recueil de Lettres qui peuvent servir à l’histoire, et diverses Poésies, à Rouen, aux dépens de l’auteur, 1657. Cet écrit, destiné seulement à quelques personnes, fort peu remarqué dans le temps, et depuis aussi peu connu que s’il n’avait jamais été, n’en est pas moins, quoique le titre le dise, très précieux pour l’histoire. Il est dédié à cette célèbre Gillonne d’Harcourt, comtesse de Fiesque, un des aides de camp de Mademoiselle pendant la guerre de la fronde, femme d’esprit, intrigante et galante. Le livre est à l’avenant. Alexandre de Campion s’y montre plein de prétentions au bel esprit et à la galanterie ; il recueille avec soin tous les petits vers qu’il fit dans sa jeunesse pour les belles d’alors, et donne sans façon les lettres qu’autrefois il écrivit, dans les circonstances les plus délicates, au comte de Soissons, au duc de Vendôme, au duc de Beaufort, au comte de Beaupuis, à de Thou, au duc de Bouillon, au duc de Guise, à Mme de Montbazon et à Mme de Chevreuse. On voit dans ces lettres qu’Alexandre de Campion, né, en 1610, d’une très bonne famille de Normandie, entré à vingt-quatre ans, en 1634, au service du jeune comte de Soissons, en qualité de gentilhomme, le suivit dans ses diverses campagnes, s’y distingua, et partagea peu à peu sa confiance avec Beauregard, Saint-Ibar, Varicarville, braves officiers et gens d’honneur, mais inquiets et un peu brouillons, qui flattaient l’ambition de leur maître, et le poussaient de concert à jouer un grand rôle en France en renversant le cardinal de Richelieu. Alexandre de Campion nous apprend que, dès l’année 1636, le comte de Soissons méditait déjà ce qu’il exécuta un peu plus tard, qu’il s’entendait parfaitement avec le duc de Bouillon, et que l’un et l’autre s’efforcèrent d’attirer à Sedan le duc d’Orléans, afin de lever de là l’étendard de la révolte et contraindre le roi à sacrifier son ministre. Campion alla à Blois pour décider le duc d’Orléans et lui