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conduite d’Anne d’Autriche ; on reconnaît, n’en déplaise à La Rochefoucauld, à Mme de Motteville et à La Porte, qu’elle était certainement coupable, et que très vraisemblablement Mme de Chevreuse était sa principale complice, puisqu’elle n’avait pas cessé de lui être aussi unie dans son exil de Touraine qu’au temps où elle était la surintendante de sa maison.

Contre Mme de Chevreuse, dont on n’avait saisi ni la personne ni les papiers, on n’avait que des présomptions, mais des présomptions très fortes. Ainsi La Porte, valet de chambre de la reine et porteur avoué de la plupart de ses lettres, appartenait à Mme de Chevreuse autant qu’à la reine elle-même, et il avait à l’hôtel de Chevreuse une chambre qui lui servait de retraite. La duchesse, avant de se rendre à Tours en 1633, était venue deux fois secrètement de Dampierre au Val-de-Grâce, où elle avait eu une entrevue avec la reine. Lord Montaigu, agent bien connu de la reine d’Angleterre et ami particulier de Mme de Chevreuse, avait vu aussi la reine une fois au Val-de-Grâce. La courageuse exilée avait proposé à la reine de rompre son ban et de venir déguisée la trouver à Paris. Elle correspondait constamment avec le duc de Lorraine, et tout récemment elle avait reçu un envoyé du duc. Il est difficile de supposer que tant de mouvemens n’eussent eu d’autre but que de savoir des nouvelles de la santé de la reine. Pour celle-ci, les preuves sont directes ; on a ses propres aveux, signés de sa main. Il est probable même qu’elle n’a pas tout dit, mais de ce qu’elle a dit il résulte qu’elle avait plusieurs fois écrit en Espagne et en Flandre, c’est-à-dire en pays ennemis, non pas seulement pour se plaindre de sa situation, mais pour communiquer et livrer les secrets les plus importans du gouvernement français.

1° Elle avait signalé à la cour de Madrid le voyage d’un religieux envoyé en Espagne avec une mission secrète ;

2° Elle avait fait savoir que la France travaillait à s’accommoder avec le duc de Lorraine, afin que le gouvernement espagnol prît ses mesures pour empêcher cet accommodement ;

3° Elle avait aussi averti qu’elle avait ses raisons de craindre que l’Angleterre, au lieu de demeurer unie à l’Espagne, ne s’en détachât, et ne s’entendit avec la France.

Il nous semble qu’il n’y a plus au monde de crimes d’état, ou qu’il y en a là de très manifestes. Aussi n’avait-on amené Anne d’Autriche à faire de pareils aveux qu’avec des peines infinies. D’abord elle avait tout nié, et dit que si elle avait plusieurs fois écrit à Mme de Chevreuse, c’avait toujours été sur des choses indifférentes. Le jour de l’Assomption, après avoir communié, elle avait fait venir son secrétaire des commandemens, Le Gras, et elle lui avait juré sur le saint sacrement, qu’elle venait de recevoir, qu’il était faux qu’elle eût