Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mirabel, ministre d’Espagne… On lui en fit un crime d’état… Plusieurs de ses domestiques furent arrêtés, ses cassettes furent prises. M. le chancelier l’interrogea comme une criminelle ; on proposa de la renfermer au Hâvre, de rompre son mariage et de la répudier. Dans cette extrémité, abandonnée de tout le monde, manquant de toutes sortes de secours et n’osant se confier qu’à Mme d’Hautefort et à moi, elle me proposa de les enlever toutes deux et de les emmener à Bruxelles. Quellesque difficultés et quelsque périls qui parussent dans un ici projet, je puis dire qu’il me donna plus de joie que je n’en avois eu de ma vie. J’étois dans un âge où l’on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvois pas que rien le fût davantage que d’enlever en même temps la reine au roi son mari, et au cardinal de Richelieu, qui en était jaloux, et d’ôter Mme d’Hautefort au roi, qui en était amoureux. Heureusement les choses changèrent ; la reine ne se trouva pas coupable, l’interrogation du chancelier la justifia, et Mme d’Aiguillon adoucit le cardinal de Richelieu[1]. » Tout ce récit nous est fort suspect. Nous ne croyons pas le moins du monde que la reine ait eu la folle idée que lui prête La Rochefoucauld ; il aura pris une plaisanterie de Mme d’Hautefort pour une proposition sérieuse, et il la rapporte ici pour se donner, selon sa coutume, un air d’importance. Il n’était pas d’ailleurs, quoi qu’il en dise, assez hardi pour se charger d’une entreprise aussi téméraire, et nous allons le voir très circonspect en des occasions bien moins périlleuses. Jamais le chancelier n’a fait subir d’interrogatoire à la reine : la dignité royale s’y opposait absolument, et puis la reine n’était pas alors à Paris ; elle n’était point au Val-de-Grâce quand le chancelier s’y transporta ; elle était à Chantilly avec le roi[2], et tout se dut passer en explications confidentielles entre le roi, la reine et Richelieu, sans l’intervention du chef de la justice. L’interrogatoire du chancelier n’a donc point justifié la reine, et la reine ne s’est point trouvée innocente ; loin de là, elle a été trouvée et elle-même s’est reconnue coupable, et c’est à ses aveux qu’elle dut le pardon qui lui fut accordé. Mme de Motteville le déclare formellement, bien entendu en défendant, comme à son ordinaire, l’innocence de sa maîtresse : « La reine, dit-elle, avoit été réduite[3] à ce point de ne pouvoir obtenir de pardon qu’en signant de sa propre main qu’elle étoit coupable de toutes les choses dont elle étoit accusée, et elle le demanda au roi en des termes fort humbles et fort soumis… Chacun étoit dans cette croyance qu’elle

  1. Mémoires, ibid., p. 352 et suiv.
  2. Mme de Motteville, t. Ier, p. 83. « Ce fut à Chantilly que cette grande querelle se passa. »
  3. Mémoires, p. 80.