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seulement Louis XIII lui abandonna Chalais, comme plus tard il lui abandonna Cinq-Mars, mais que toute sa vie il demeura persuadé que la reine avait trempé dans cette affaire, et qu’elle et Monsieur avaient eu la pensée, lui mort ou détrôné, de s’unir ensemble. Chalais, malgré les larmes de sa vieille mère, monta sur le premier échafaud dressé par Richelieu. Monsieur se tira d’affaires en épousant Mme de Montpensier, la reine tomba plus que jamais en disgrâce, et Mme de Chevreuse, lâchement dénoncée par le duc d’Orléans et par Chalais lui-même, qui, au moment de périr, démentit en vain ses premiers aveux, fut condamnée à sortir de France. Quelle part avait-elle eue dans cette conspiration ? Celle que l’amour à la fois et l’amitié lui avaient faite. Chalais était son amant, et elle était dévouée à la reine Anne. Elle n’avait pas plus imaginé ce complot-là que tous ceux que recommença si souvent le duc d’Orléans, sans en achever aucun ; mais, en y entrant, elle y dut porter son ardeur et son énergie. Richelieu dit, et nous l’en croyons, « qu’elle faisait plus de mal que personne[1]. » Elle apprit à ses dépens ce qu’il en coûte de trop aimer une reine. Anne d’Autriche en fut quitte pour courber un peu plus la tête, mais sa courageuse confidente vit l’homme qu’elle aimait périr par la main du bourreau, et elle-même, arrachée à toutes les douceurs de la vie, aux fêtes du Louvre et à son beau château de Dampierre, fut réduite à aller chercher un asile sur une terre étrangère. Aussi, dit Richelieu, « elle fut transportée de fureur. » Elle s’emporta jusqu’à dire « qu’on ne la connoissoit pas, qu’on pensoit qu’elle n’avoit d’esprit qu’à des coquetteries, qu’elle ferait bien voir, avec le temps, qu’elle étoit bonne à autre chose, qu’il n’y avoit rien qu’elle ne fit pour se venger, et qu’elle s’abandonnerait plutôt à un soldat des gardes qu’elle ne tirât raison de ses ennemis. » Elle voulait aller en Angleterre, où elle était sûre de l’appui de Holland, de Buckingham et de Charles Ier lui-même. Cette permission ne lui fut pas accordée ; on voulait même l’enfermer, et son mari eut de la peine à obtenir qu’elle se retirât en Lorraine.

On sait qu’au lieu d’un refuge, elle y trouva le plus éclatant triomphe. Elle éblouit, séduisit, entraîna l’impétueux et aventureux Charles IV[2]. Elle n’a pas été, comme le dit La Rochefoucauld et comme on l’a tant répété, la première cause des malheurs de ce

  1. Richelieu, Mémoires, t. III, p. 105.
  2. Ici, et sur toute la première partie de la vie de Mme de Chevreuse, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de M. le comte d’Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, avec notes, pièces justificatives et documens historiques entièrement inédits, ouvrage dont nous ferions un éloge plus étendu, si des juges bien compétens ne nous avaient prévenu dans cette Revue même, et n’avaient déjà mis en lumière le savoir, l’esprit et l’agrément qui brillent dans ce livre remarquable.