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La Russie était affranchie, il s’agissait de lui donner un gouvernement, et qui choisirait le souverain ? La nation même, représentée par des états-généraux convoqués à Moscou. Les grands rassemblés dans cette ville firent annoncer dans tout l’empire que la patrie était délivrée de l’oppression des étrangers. Les états se réunirent dans la capitale pour procéder à l’élection d’un tsar. L’assemblée était composée des boyards, des voïvodes, des nobles et enfans-boyards des villes (ces diverses classes représentant la haute et la petite noblesse), puis des marchands, des bourgeois et des propriétaires de biens-fonds. Le nombre, de ces députés n’était pas fixé, et les villes avaient le droit de choisir et d’envoyer tous ceux qui leur semblaient mériter leur confiance[1]. Telle est l’assemblée qui en 1613 élut tsar le jeune Michel Romanof, le chef de la dynastie actuellement régnante, qui, parmi les premiers faits mémorables de son histoire, compte l’avènement d’un prince appelé au trône par le suffrage de ses concitoyens.

L’élection du tsar Michel Romanof est le dernier acte de liberté qui ait été exercé en Russie. À partir de cette époque, le pouvoir que nous avons suivi à travers toutes les périodes de sa laborieuse formation est désormais constitué. Il a trouvé sa voie, il n’en déviera plus. L’autocratie va succéder à ce mélange de despotisme et d’indépendance qui avait caractérisé jusqu’alors les institutions russes. C’est Pierre le Grand qui accomplira la grande transformation préparée par l’avènement de Michel Romanof ; c’est lui qui formulera la double politique des tsars vis-à-vis de la Russie et vis-à-vis de l’Europe. Il nous reste à juger dans ses applications récentes le système dont les premiers temps de l’histoire russe nous ont montré la loi d’existence et de développement.

Aug. Picard
  1. La classe des paysans ne figure pas dans cette assemblée. C’est qu’elle était tombée dans le servage à la suite des révolutions politiques qui avaient sans cesse concouru à l’agrandissement du pouvoir absolu. Dans les premiers temps, il n’y avait d’autres esclaves en Russie que les prisonniers faits à la guerre. Il y eut plus tard, d’après le code de Vladimir II dit Monomaque, deux sortes de servitudes. L’esclavage plein comprenai les prisonniers de guerre ; les engngemens par contrat entraînaient une servitude temporaire qui ne pouvait en aucun cas excéder la vie du maître. Jusqu’en 1592, les paysans, sans être serfs, n’avaient point de part à la propriété foncière. La terre appartenait aux seigneurs. Les paysans donnaient à ceux-ci leur travail contre la jouissance d’une portion du sol, qu’ils employaient un jour de la semaine à cultiver, laissant au maître le reste de leur temps. Ils étaient libres toutefois de quitter la terre où ils travaillaient pour aller chercher ailleurs l’emploi de leurs bras. En 1592, le terrible règne d’Ivan IV avait passé sur la Russie. Un simple oukase de Féodor (fils d’Ivan, régnant sous la tutelle de Boris Godounof) attacha le paysan à la glèbe en lui interdisant de changer de maître et de terre. Dès-lors le servage fut établi, et des millions d’hommes devinrent la propriété de quelques-uns.