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le titre des césars déchus. Ils firent même plus, et Ivan III (1462-1505) épousa une princesse du sang impérial. À la mort du dernier Paléologue, il ajouta à ses armoiries l’aigle noire- à deux têtes, et se posa en héritier de l’empire d’Orient. Ce qui était plus sérieux, il abolit complètement la loi des apanages dans sa famille, et se proclama souverain de toutes les Russies. Du reste, en établissant le droit d’aînesse dans sa maison, il se garda de l’introduire dans la classe hostile des boyards ou nobles, descendans des princes apanagés.

On était à la veille d’un des règnes qui ont exercé le plus d’influence sur les destinées de la Russie, celui d’Ivan IV, le Terrible, qui le premier se proclama tsar. Les derniers coups portés à la puissance tartare et à celle des boyards, la destruction de Novgorod, la création d’une garde armée de mousquets, les strélitz, tels furent les actes qui attestèrent sous Ivan IV les tendances désormais bien marquées du pouvoir royal. La Russie vit donc s’accomplir une révolution dans le sens despotique à l’époque même où la renaissance remplissait l’Occident de lumières et lui ouvrait une ère de liberté. Arrêtons un moment notre attention sur ce contraste avant de suivre de plus près le pouvoir des tsars dans la période d’envahissemens où l’introduisait Ivan IV. D’un côté, c’est la science qui se propage, c’est l’imprimerie qui fournit aux masses un nouveau moyen de s’éclairer ; Luther élève sa grande voix ; un nouveau monde a été découvert et offre un champ infini à l’activité européenne ; la féodalité croule, l’affranchissement des peuples se prépare. De l’autre sont les Slaves, guerroyant sur le Volga ou dans la steppe, disputant des déserts et des glaces à la plus inférieure des nations musulmanes, laissant étouffer dans Novgorod tout ce qu’ils avaient jamais possédé de vitalité généreuse, et sacrifiant leurs libertés civiles après avoir reconquis leur indépendance nationale. De quel côté pourtant sont les rêves de suprématie, de domination universelle ? Du côté de ceux qui peuvent le moins justifier une telle ambition, qui n’ont à revendiquer aucune grande découverte, aucun grand service rendu à l’humanité ! Un tel rapprochement ne dispense-t-il pas de tout commentaire ?

Ivan IV Vasilievitch, le Jean Basilidès de Voltaire, que les écrivains russes appellent courtoisement le Sévère ou le Menaçant, a été appelé avec plus de vérité par son peuple Ivan le Terrible. Plus cruel que Tibère et Néron, non-seulement il aimait à répandre le sang, mais il se plaisait à torturer lui-même ses victimes. Cet homme impitoyable avait cependant quelque chose du génie politique de Louis XI et de Richelieu. Le jour de la victoire de Kazan, dans sa tente dressée sur le champ de bataille, il fit aux boyards qui