Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’ouvrage d’un professeur habile et expérimenté. J’estime infiniment M. Benoît, mais je demande autre chose à M. G. Guizot, et ce que je lui demande, je suis sûr maintenant de l’obtenir. Il est en fonds pour la course qu’il doit fournir, et il peut s’abandonner sans crainte à l’ambition de son esprit. Cependant, puisque je suis en train de critiquer, il faut que je lui dise encore que sa manière d’écrire pourrait être quelquefois plus naturelle et plus précise. Il n’a pas besoin de chercher l’effet. On voit tout de suite qu’il ne manquera jamais ni de facilité, ni de piquant, ni d’élégance, ni de relief. Il n’a qu’à se défier d’un certain luxe d’ornemens qui ferait ombrage à un goût difficile, et il peut se résigner à dire tout simplement les choses simples. Ce sont là des riens qu’on ne relève que chez un écrivain qui aspire à la perfection, et qui fait assez bien pour faire mieux encore. Avec quelques suppressions éparses, et qui n’arriveraient pas à trois ou quatre pages en tout, il nous aurait réduit au silence. Je ne sais, il est vrai, si je le louerais d’avoir dès aujourd’hui cette sagesse d’expression qui ne va qu’à la maturité. En tout, voici le conseil que je lui donne : c’est de continuer à être lui-même, dans ses goûts, dans ses opinions, dans sa manière, et de n’ajouter à son exécution qu’un peu plus de sévérité pour le style et pour les idées. C’est par un rigoureux examen, par une analyse complète de sa propre pensée, que l’on arrive à ce degré supérieur de précision et de justesse indispensable au critique accompli. Sur cette terre si promptement féconde, il ne doit rien germer que d’excellent. Les bluets sont jolis, mais il n’en faut pas trop dans les blés. Notre auteur pensera ce qu’il voudra de ces remarques d’un censeur chagrin, mais qu’il ne regrette pas de nous les avoir suggérées. S’il n’avait trop aujourd’hui, un jour il n’aurait pas assez. Son livre est le gage d’un brillant avenir, nul n’est plus heureux que nous de l’augurer. Sa jeunesse tient les promesses de son nom, sans doute sa maturité tiendra toutes les promesses de son jeune âge !


CHARLES DE REMUSAT.