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lettres de ses amis sont d’une franchise et quelquefois d’une rigueur à ne laisser aucun doute sur ce point. Bien qu’un peu auteur sur le chapitre de la composition et du style, il écoutait les contradictions, il supportait la critique de ses idées les plus chères avec une sérénité et une déférence que l’amour-propre, si habile qu’il soit à ce jeu, ne saurait contrefaire sans se trahir quelquefois, et qui ne se démentaient jamais. Trembley, qui ne lui avait pas épargné des observations très dures sur sa psychologie, s’écriait, après avoir lu la réponse de Bonnet : « Va, tu n’auras pas à te garantir des injures; j’en réponds, je te le dis parce que je le vois, la religion et l’excellent cœur, l’homme moral, pénètrent dans tout ton ouvrage, et l’ami sent bien qui tu es. » — « Je ne souhaite, disait Jallabert à son tour, qu’une chose pour moi, mes enfans, mes amis, mes concitoyens : c’est que nous soyons tous autant hommes de bien, craignant Dieu et bons chrétiens que vous l’êtes. »

C’est tellement dans cette rare et aimable humilité de Bonnet qu’est, à notre sens, la preuve de sa sincérité philosophique et religieuse, que nous ne craindrons pas d’en rapporter encore un trait, qui pourrait paraître insignifiant, si l’on ne savait pas avec quelle jalouse susceptibilité les hommes d’un savoir illustre défendent leurs moindres conceptions. Bonnet, dans un de ses ouvrages, avait fait dépendre l’indestructibilité des germes de leur transparence. De Saussure, qui ne trouvait pas l’explication très bonne, lui proposa la sienne, bien confus ensuite d’apprendre que son oncle, non content de le remercier comme un disciple remercie son maître, avait envoyé ses remarques à Spallanzani pour être imprimées dans un ouvrage du savant abbé. Très jeune encore, De Saussure ne put s’empêcher de lui reprocher respectueusement l’excès de sa déférence : « Vous faites, mon cher oncle, lui écrivit-il, beaucoup trop de cas de mes petites observations, et le ton beaucoup trop modeste de votre lettre me ferait craindre d’avoir eu dans la mienne un ton précisément opposé, si je ne connaissais bien mes sentimens pour vous. »

Tel fut Bonnet jusqu’à la fin de sa vie, penseur hardi, esprit sage, candide et humble cœur, digne à tous les titres de l’admiration et du respect qui entouraient son nom au XVIIIe siècle, et assurèrent à sa personne comme à ses ouvrages une légitime et considérable influence. C’est la portée de cette influence qu’il nous reste à caractériser, et c’est la correspondance inédite de Bonnet qui nous aidera encore dans cette dernière partie de notre tâche.


ANDRE SAYOUS.