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tirait son origine. Il admire Ménandre, mais il est loin de sacrifier Aristophane, et l’on entrevoit qu’il en pense ce qu’on pensait Platon. Il ne parait pas bien persuadé que la transformation successive de la comédie grecque soit de tout point un progrès, et quoiqu’il n’en dise rien, je ne suis pas sûr qu’il mette la comédie de mœurs ou de caractère à un rang aussi élevé qu’on le fait communément. Elle a produit des chefs-d’œuvre sans doute, pourtant ce n’est pas une raison pour regarder ce genre comme l’idéal de la poésie dramatique. Mais ce sont là de ces questions difficiles, périlleuses même, que Socrate traitait au lendemain du divin banquet, et sur lesquelles M. G. Guizot a bien fait de ne pas trop s’aventurer. L’Académie d’ailleurs ne le lui demandait pas, et, loin de se resserrer dans d’étroites limites, il s’est plutôt laissé aller au mouvement naturel de son esprit. Non content de ne rien négliger d’essentiel, il ne s’est point interdit les digressions, accueillant volontiers les idées qui lui venaient à l’esprit, même lorsqu’un assez faible lien les rattachait à son sujet. Il y a dans son ouvrage quelque chose de l’abandon d’une conversation spirituelle, et certaines pensées, plus ingénieuses que nécessaires, n’offrent qu’une analogie fugitive ou une allusion vague pour motiver leur présence dans le cours de son ouvrage. Dès qu’un rapprochement le frappe, il le séduit, et son imagination est facile à tenter. C’est le métier de l’imagination au reste, et nous ne pouvons à un jeune écrivain faire un crime d’en avoir un peu.

Il aura tout le temps d’émonder ces branches luxuriantes, s’il n’aime mieux attendre qu’elles tombent d’elles-mêmes, hélas ! comme du bois mort. Pour aujourd’hui, il se sent riche et il dépense. Si c’est un défaut, il serait fâcheux de ne pas l’avoir, et l’auteur promettrait moins, si l’ouvrage était plus sobrement composé. La diversité des lectures, l’abondance des réflexions, la variété des points de vue, cette souplesse et cette agilité d’esprit qui parcourt légèrement toutes les parties d’un sujet et se promène au hasard sans toutefois s’égarer, un fonds d’idées et de connaissances qui se laisse entrevoir, qui se montre même, mais qui ne s’épuise pas et qui se retrouvera toujours, voilà quelques-unes des ressources avec lesquelles M. G. Guizot entre dans la carrière des lettres. Son premier essai prouve plus d’esprit et de talent qu’il n’était indispensable d’en montrer pour réussir ; mais ce n’est pas en cela que l’excès est un défaut, et surtout dans les livres le superflu est nécessaire. Je fais cette remarque, parce que l’ouvrage de son concurrent a donné lieu à des observations toutes différentes, C’est aussi une œuvre excellente où la matière est bien traitée, où tout est bien ordonné, bien proportionné, où rien ne s’est glissé d’oiseux ou de contestable, comme il convient