Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comique, du moins dans le sens où nous entendons ces mots aujourd’hui, n’a jamais mieux parlé.

J’ai déjà dit que Ménandre était épicurien ; Molière aussi. L’auteur du Misanthrope était l’élève de Gassendi et le traducteur de Lucrèce. On peut, il est vrai, dans Ménandre comme dans Molière (dans celui-ci plus rarement), trouver des passages qui dérogent à la philosophie ultrà-positive du sensualisme incrédule. Ce ne sont point des maximes épicuriennes que les pensées suivantes : « Considère la crainte de Dieu comme le principe de tout. — La Divinité pousse les méchans aux pieds de la justice. — Honore Dieu, et tout te réussira divinement. — Envers les bons, Dieu se montre toujours bon lui-même. — Le plus riche sacrifice qu’on puisse offrir à Dieu, c’est la piété. » Ces maximes sont peu d’accord avec d’autres fragmens plus développés où il fait du hasard le roi du monde et du plaisir le maître de l’homme ; mais ces disparates se rencontrent chez tous les auteurs qui ne sont pas systématiques, et semblent naturelles surtout chez un faiseur de comédies, qui ne parle pas toujours en son nom. Cependant on conçoit assez aisément qu’un observateur de la nature humaine en action, que le peintre des travers et des ridicules de la société soit peu porté à chercher l’idéal sous le réel, à embrasser une philosophie supérieure qui s’élève, au-dessus des accidens et des variations de la vie commune, à ce qui est invisible, immutable, parfait. Une philosophie terre à terre, qui n’ennoblit point l’humanité, qui explique toute la conduite de l’homme par ses intérêts, ses besoins ou ses faiblesses, qui trouve absurde tout ce qui compromet le bonheur ou même la tranquillité, qui fonde enfin la morale sur l’intérêt bien entendu, une telle philosophie qui décrit à merveille tout ce qu’il y a de plus apparent dans la réalité, et qui se montre clairvoyante et sensée dans la pratique, doit naturellement tenter les esprits faits pour exceller dans la comédie. La spéculation métaphysique sert peu à connaître les hommes, et pour les bien peindre, il ne faut pas trop s’élever au-dessus d’eux. Par le goût ni le style, Ménandre assurément n’a rien de vulgaire ; mais ses idées sont celles que donne l’expérience du monde, et il ne prétend à rien de plus qu’au sens commun. C’est toute l’ambition de la comédie, et les conclusions de Molière ne vont pas au-delà.

Le jeune auteur de Ménandre a vu tout cela et bien d’autres choses encore. Quoiqu’il loue, peut-être avec un peu d’uniformité, tout ce qu’il cite et nous laisse apercevoir certaines distinctions plutôt qu’il ne les fait lui-même, il ne confond ni les systèmes, ni les tons, ni les mérites. Il sait bien que pour devenir une image de la vie commune la comédie a dû renoncer à ces restes de la poésie lyrique, d’où elle