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nom, quoique certaine Céphise ou certaine Lucrèce qui ont des intrigues de jardin public et des correspondances par la fenêtre soient des personnages fort équivoques. On n’en a pas moins reproduit tout le manège des amans de Glycère ou de Thaïs autour des Lucile et des Angélique de notre théâtre. Leur maison n’est pas plus respectée qu’un lieu suspect. L’intrigue, le déguisement, le mensonge, la fraude, la corruption, le vol, le rapt même, sont devenus, sans le moindre scrupule de la part des auteurs ni du public, les moyens de succès de l’honnête amour des jeunes gens de bonne famille pour qui l’on sollicite tout notre intérêt. De complicité avec un valet ou une femme de chambre, un jeune homme ou une jeune fille entre en lutte de ruse et d’imposture, non-seulement avec un oncle ou un tuteur, mais avec un père ou une mère, dont leurs enfans ne parlent que pour railler leurs ridicules ou leurs vices. L’habitude nous rend inattentifs à tout cela, et il y aurait de l’affectation à s’en formaliser. Le fait est pourtant que ni la famille, ni la propriété, ni le mariage ne sont plus respectés dans l’ancienne comédie française que dans les romans de nos jours, et une bonne partie des amoureux et des amoureuses de notre ancien théâtre risqueraient aujourd’hui d’aller en cour d’assises. Sans doute ces mœurs étaient moins étranges au siècle de Louis XIII et de Louis XIV, et les progrès de l’administration publique, l’autorité croissante de la loi, avant tout et surtout l’égalité civile, ont notablement régularisé et même amélioré la société : il n’en est pas moins véritable que même dans nos écrivains originaux, même dans Molière, l’imitation archaïque a introduit certaines conventions théâtrales parfaitement fausses, qui n’ont pas de raisons d’être, et qui faisaient de la comédie tout autre chose qu’une école ou même qu’un tableau des mœurs et de la vie.

Que les sentimens, les idées, les maximes soient les mêmes dans la comédie moderne et dans la comédie grecque, cela est tout simple. En ce genre, nous avons peu innové, et les anciens nous laissaient peu à faire. Penser mieux qu’ils n’ont fait est difficile ; mieux dire est impossible. Au risque de donner gain de cause à certains fanatiques, j’avouerai que la société moderne, surtout la société française, est pénétrée de l’esprit de l’antiquité ; le fond de ses idées lui a été donné par la littérature classique. Lorsqu’on lit dans les exactes et spirituelles traductions de M. Guizot les précieux fragmens que le temps a épargnés de l’œuvre de Ménandre, on est forcé de reconnaître que pour la vérité, le bon sens, la simplicité et la délicatesse, le nerf et la grâce, il faut renoncer à mieux faire. Cet atticisme qui charmait Jules César et le rendait sévère pour Térence mérite toute la réputation que les siècles lui ont laissée, et le poète