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de la vie intime. L’esprit, la conversation, le goût des arts quelquefois, toujours la parure et la coquetterie, l’intrigue enfin, la jalousie, l’avidité, la passion même et le dévouement par occasion, se rencontraient chez ces femmes placées par leur beauté, leurs manières et leur mérite a des rangs fort divers. C’est donc pour elle et autour d’elles que se jouaient toutes les scènes de la vie galante ou romanesque, et par la nature des choses elles devaient souvent être l’âme de la comédie du moment que l’amour y tenait la première place. Leur existence était une perpétuelle aventure et s’accordait aisément avec les incidens ordinaires du drame. Athènes et les villes de Grèce et de Sicile, voisines de la mer pour la plupart, étaient exposées à tous les risques de la piraterie ; la surveillance administrative ne ressemblait pas à ce qu’elle est aujourd’hui ; une contrebande de toute sorte troublait toutes les relations civiles entre ces petites sociétés, si différentes et si rapprochées. De là tous ces jeux de fortune, les naufrages, les évasions, les enlèvemens, les enfans ou les trésors perdus ou recouvrés, tous ces incidens actuellement extraordinaires qui forment le nœud de tant de comédies grecques. Enfin l’esclavage domestique, qui rapprochait le serviteur du maître en rendant celui-ci plus absolu, et mettait entre eux moins de distance et plus d’inégalité, explique parfaitement le rôle de confident actif, d’ami tour à tour perfide ou dévoué du Dave ou du Parthénon du théâtre. Il y a donc moins de convention qu’il ne semble dans la comédie grecque, et quoique le fond en soit presque toujours romanesque, il n’est point invraisemblable et suppose des événemens qui ne devaient pas être alors aussi rares dans les familles qu’ils le sont parmi nous sous l’empire de la préfecture de police et des tribunaux correctionnels.

Les Romains, dénués de presque toute originalité dans les arts, ont imité Athènes sans grand discernement, et les comédies latines sont des comédies grecques. Nous n’avons plus les farces beaucoup plus curieuses, où ils jouaient leurs propres mœurs et les ridicule indigènes. L’effet des pièces de Plaute et de Térence devait être assez analogue à celui que produit Amphitryon sur notre scène. Ce qui est plus singulier néanmoins, et ce qui prouve la tyrannie de l’imitation classique chez les modernes, c’est que nous ayons fait à peu près comme les Romains. Le moyen âge avait eu une sorte de théâtre national ; après la renaissance on l’oublia, et la comédie, devant peindre les mœurs, prit celles de l’antiquité pour modèle. Dans bon nombre de pièces du théâtre français du XVIIe siècle, le sujet, le nœud, les incidens, les personnages, sont transportés de la Grèce à Paris. Les courtisanes ne pouvaient y figurer ouvertement et avec leur vrai