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la réalité, à mettre au-dessus de tout la peinture et bientôt la satire des affections humaines, avec l’idéal et le merveilleux devait peu à peu disparaître l’élément religieux, qui avait tenu une si grande place sur l’ancien théâtre. C’est la volonté de l’homme qui devint pour lui la fatalité ; ses fautes furent la source de ses malheurs, et la sottise se châtia elle-même. Aussi Euripide fut-il accusé d’impiété, et Ménandre était un disciple d’Épicure.

Dès qu’on se fut habitué à railler les vices et les travers de l’humanité, comment les respecter en les retrouvant chez les dieux ? La mythologie fut traitée au point de vue comique ; l’incrédulité sied aux esprits moqueurs. Cependant le ton du dialogue s’épura. Il perdit en poésie et gagna en convenance. La peinture de l’homme moral donne un plaisir réfléchi qui convient moins à la multitude, et à son dernier âge, la comédie athénienne, cessant d’être l’amusement d’un peuple libre, fut le divertissement d’une société intelligente. Cette société, par ses idées et ses sentimens, différait peu des sociétés modernes, et nous serions embarrassé de justifier sous ce rapport le dédain avec lequel on parle quelquefois de l’antiquité. Seulement il s’y rencontrait des institutions, des coutumes qui n’existent plus, et qui nous choquent avec raison. Par exemple, l’habitude orientale d’enfermer les femmes permettait peu de leur attribuer un rôle dramatique ; elles n’étaient rien sur la scène comme dans le monde. Leur éducation était presque nulle. Elles n’avaient ni coquetterie ni conversation ; sans lumières et sans idées, elles ne suffisaient qu’aux devoirs pour ainsi dire matériels de la vie domestique. Ces usages ne dénotaient pas un médiocre respect pour le mariage ni pour les vertus qui sont l’honneur des femmes ; mais ces vertus n’étaient pas assez libres pour avoir tout leur prix, ni même toute leur dignité. M. G. Guizot prouve très bien cependant qu’au temps d’Aristote on avait une idée plus élevée et plus délicate du mérite des femmes, et qu’on eût été mal venu à les représenter avec Aristophane telles que des esclaves de harem, qui ne songent qu’à voler leurs maîtres. Ménandre, qui dit grand mal du mariage à la manière de tous les poètes comiques, parle en homme de plaisir plutôt qu’en moraliste. Il craint les femmes et ne les dégrade pas. Elles tenaient encore si peu de place dans la société, elles paraissaient si peu au grand jour, qu’on ne pouvait que par exception les traîner du fond du gynécée sur la scène. De là l’importance dramatique donnée aux courtisanes. Celles-ci seules étaient connues hors de l’intérieur du domicile. Elles cumulaient en Grèce, avec le rôle que jouent leurs pareilles dans la société moderne, celui que l’usage permet aux personnes du grand monde, et qui peut s’allier avec toutes les vertus