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et à juger ses productions. Comparez, je ne dis pas La Harpe, mais Voltaire, aux excellens critiques de notre âge, et dites-nous sincèrement qui vous en a le plus appris. Qu’il faille juger Homère ou Platon, Bacon ou Machiavel, Dante ou Shakspeare, M. Ampère fera cent fois mieux que Boileau. Et dans quel temps trouverez-vous pour la finesse, la sagacité, la vérité, l’art de peindre en jugeant, des morceaux de critique comparables à ces chefs-d’œuvre du genre que nous devons à M. Macaulay ou à M. Sainte-Beuve ?

M. G. Guizot a donc bien fait d’entrer dans une voie où il était assuré de rencontrer de tels guides. Une passion vive pour les beautés de l’art parait avoir de bonne heure animé sa studieuse jeunesse, et, grâce à elle, les études nécessaires à son âge n’ont eu pour lui nulle aridité. Il n’est point entré dans la vie du monde, comme tant d’autres moins bien doués, dégoûté par les travaux du collège des choses de goût et d’érudition. C’est un grand bonheur qui, à défaut de toute autre vocation, ou si les circonstances ne l’appellent ailleurs, lui assurerait toujours une occupation captivante et le plus agréable moyen d’arriver à la renommée. La pure littérature n’exclut pas assurément d’autres emplois de l’esprit, mais toute seule elle lui suffit ; celui qui s’y consacrerait tout entier n’aurait pas choisi la plus mauvaise part. Sans rien préjuger pour l’avenir, nous prenons donc M. G. Guizot pour un critique, et c’est comme ici que nous lui offrons aujourd’hui nos éloges et nos conseils.

Bien des années se sont écoulées depuis le jour où un jeune homme qui entrait dans la vie avec des visées plus hasardeuses, mais moins de ressources acquises, à la fois plus téméraire et moins bien armé, trouvait à son début et pour ses premiers essais les encouragemens et les avis que M. G. Guizot peut recevoir à tout moment, en écoutant la voix la plus chère, en recourant à l’autorité la plus révérée. La littérature parait en ce moment sa pensée dominante. Je ne sais si je dois dire plus heureux ou plus malheureux, — non, plus heureux, — nous donnions à son âge toute notre âme à la politique. Sciences, belles-lettres, philosophie même, tout nous semblait l’instrument de la politique, et c’était sur la révolution française que nous portions toute notre critique, tout ce que nous pouvions avoir d’aptitude à séparer le bien du mal, le vrai du faux, à discerner ce qu’il fallait admirer, ce qu’il fallait condamner, ce qu’il fallait absoudre. Quels étaient les défauts du temps, quelles les fautes individuelles, quelles les erreurs générales ou permanentes, quels enfin les exemples à suivre, les vertus à célébrer, les principes à défendre, les vérités à propager : telle était la recherche excitante et difficile qui absorbait toutes les réflexions et tous les efforts des hommes qui