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par un de ces miracles du hasard qu’admet volontiers tout dénouement dramatique. C’est elle, sortie vivante de la fosse où son assassin, aidé d’Aaron, l’avait ensevelie. Le pardon généreux de lady Grâce suit de près cette réapparition foudroyante. Aaron n’est plus que le complice involontaire d’un crime avorté : il vivra désormais, non sans remords, mais sans ces inquiétudes mortelles qui le harcelaient sans cesse, et Martin, qui ne risque plus de voir rejaillir sur lui la flétrissure dont le nom paternel était menacé, — Martin épousera Phœbé Dale en tout repos de conscience.

Ce petit drame (the Lighthouse), joué avec succès chez Charles Dickens, et qui a eu depuis une seconde représentation, donnée par les mêmes acteurs[1] au bénéfice d’un hôpital nouvellement fondé, est la dernière production du jeune talent que nous avons voulu étudier et signaler dès ses premières manifestations[2]. Nous croyons à son avenir, nous y croirons surtout si, dans le bonheur constant dont il a été accompagné jusqu’ici, dans l’attention bienveillante et sympathique dont les gages flatteurs lui ont été prodigués, M. Wilkie Collins ne puise pas une confiance toujours périlleuse, alors même qu’elle peut sembler le mieux justifiée. Nous lui reconnaissons de grand cœur les principales qualités du romancier, et, par-dessus toutes, celle de raconter avec art, celle aussi d’observer avec finesse ; mais s’il a les mérites de son âge, il en a aussi trop souvent les défauts. L’optimisme confiant dont est empreint son talent, encore en voie de formation, semble s’étendre à sa manière d’écrire. Une conception ingénieuse le séduit et lui suffit trop vite. Un à-peu-près de caractère spirituellement indiqué, mais qu’il néglige d’accentuer, de particulariser assez ; — une esquisse heureuse, effleurée du crayon, — un groupe artistement disposé, mais qui tient dans la composition générale ou trop ou trop peu de place, — il n’en faut pas davantage pour satisfaire son facile enthousiasme. Et cependant de nos jours le roman, qui a singulièrement étendu ses limites, ne se construit pas à si peu de frais. Il veut des études plus patientes, des types plus curieusement analysés, des combinaisons plus raffinées et plus complexes. On n’y suffit plus, comme au temps de Marmontel, avec les courts essors d’une imagination ça et là voletant, les gais caprices d’une intelligence sûre, prompte, docile à l’éperon, rebelle au frein. Il y faut ajouter « les longs efforts » et « les vastes pensées, » si l’on veut prendre son rang parmi les maîtres du genre, qui tous, de jour en jour plus laborieux, fouillent plus avant ce sol

  1. A Campden-House, chez le colonel Waugh, en juillet dernier.
  2. M. Wilkie Collins vient de commencer dans le Fraser’s Magazine un nouveau roman intitulé les Monktons de Wingscot-Abbey. Le début de ce récit fait présager un de ces contes fantastiques comme Edgar Poe les savait si bien imaginer.