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Nous nous sommes laissé aller à détacher du roman de M. Wilkie Collins cette peinture des mœurs d’atelier, d’abord parce qu’en elle-même elle est assez amusante, et surtout parce qu’elle doit, aux antécédens de l’auteur, aux traditions de sa jeunesse, un précieux cachet de vérité. Quant à la conception même du personnage de Blyth, nous ne sommes pas absolument certain qu’il faille lui en accorder tout le mérite. M. Collins a pu trouver l’idée de ce personnage dans un récit de M. de Balzac (il a pour titre : Pierre Grassou), justement consacré à peindre l’existence, toute pleine d’anomalies, que prépare à une nature essentiellement bourgeoise la fausse et malencontreuse vocation qui l’a égarée dans le périlleux métier d’artiste. Si nous comparons le type anglais au type français, nous trouverons le premier bien moins rigoureusement fouillé, analysé avec bien moins de curiosité patiente, une application, un acharnement bien moins grands. En revanche, grâce à l’humeur indulgente, à la tournure d’esprit essentiellement philanthropique qui caractérise, nous l’avons dit, M. Wilkie Collins, Valentin Blyth intéresse tout autrement que Pierre Grassou, et la compassion un peu dédaigneuse, mais sincère et cordiale, qu’on accorde au premier, ne ressemble en rien au mépris amer qu’inspire le second, à l’intolérant ostracisme qu’on serait tenté de prononcer contre lui et ses pareils. En général, c’est là le grand défaut, l’immense lacune du talent de M. de Balzac : il manque de ménagemens humains, de charité conciliante ; il fait presque toujours appel aux méfiances de l’esprit, aux antipathies du cœur. La véritable onction, la ferveur naturelle semblent lui manquer absolument, et ce qu’à force d’art il y substitue a je ne sais quoi de raide, de guindé, d’excessif qui ne touche et n’émeut que pour un temps, un temps très court, — le temps qu’on met à se reconnaître.

M. Wilkie Collins aurait plutôt le défaut opposé, qu’en bonne morale il faut préférer, ce nous semble. Il est de ces peintres qui flattent, non par calcul, mais par instinct et bonhomie sincère. Lui faut-il, comme à tous les romanciers du monde, quelque profonde scélératesse à mettre en action, il en éprouve, dirait-on, un certain embarras, un certain remords. Il n’est à son aise et heureux d’écrire que lorsque ses personnages bien-aimés sont eux-mêmes dans toute la plénitude d’un complet bien-être. La gaieté, la jeunesse, l’abandon joyeux, l’intimité souriante du foyer domestique, la sérénité de l’âme, l’équilibre du tempérament, les innocentes manies qui rendent heureux, les sentimens expansifs qui ajoutent leur douce chaleur à celle d’un sang généreux et sain, voilà ce qu’il aime à rendre, voilà ce qu’il excelle à faire aimer.

Il est assez ordinaire qu’une nature de cet ordre, par cela même qu’on la trouve assez rarement chez les écrivains de profession, rencontre une fréquente sympathie, un retour presque universel. Telle