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« Ici la comtesse douairière une fois encore bourra son nez de tabac, jetant un regard mécontent à la personne qui avait parlé du « tohu-bohu. »

« — … Ont été peints, reprit Valentin, d’après un principe, qui peut être brièvement défini. Je prends la liberté de diviser l’art entier en deux grandes catégories : le paysage et la figure. Prenant ensuite ces deux ordres de production dans leur plus haut degré de développement, je leur attribue respectivement la dénomination d’art pastoral et d’art mystique. Mon Age d’Or est un essai par lequel j’ai voulu donner un échantillon d’art pastoral. Dans mon Colomb en vue du Nouveau-Monde, au contraire, je me suis efforcé d’exprimer l’art mystique, selon la mesure de mes faibles moyens… »


Ainsi continue notre ami Blyth, brandissant son appuie-main, et discourant de l’idéal, de la réalité, de la nature, de la poésie, de la philosophie et du sublime avec cette heureuse sérénité des gens qui trouvent dans une inintelligible théorie la justification d’œuvres inintelligibles. Au bout du premier paragraphe, le jardinier cherche à s’esquiver, tandis que lady Brambledown applaudit bruyamment.

« — Bravo, Blyth ; voilà qui est libéral, compréhensif, progressif, profond. Jardinier, où allez-vous ?

« — C’est la vraie philosophie de l’art, mylady,… tout ce qu’il y a de plus vrai, de plus philosophique, ajouta M. Gimble, le marchand de tableaux.

« — Indigeste, dit à demi-voix M. Hemlock, le critique, appelant de ces jugemens favorables à celui de M. Bullivant, le sculpteur.

« — Quoi ? demanda ce dernier.

« — La théorie critique de Blylh, répondit M. Hemlock.

« — Oh !… tout ce qu’il y a de plus indigeste. »


Plus loin, dans le cours de ses développemens esthétiques, Blyth a le malheur de faire remarquer qu’il a exprimé la jeunesse laborieuse de Colomb et l’énergie de ses luttes contre la fortune par le développement donné à son biceps flexor cubiti.


« — Merci de Dieu, qu’est-ce qu’un biceps ? s’écria lady Brambledown.

« — Le biceps flexor cubiti, votre seigneurie, commença immédiatement le docteur, enchanté de pouvoir professer un peu d’anatomie à une comtesse douairière, peut se définir exactement le tenseur bicéphale du coude ; c’est un muscle situé sur ce que nous appelons l’os…

« — Suivez l’appuie-main, chère madame, de grâce, suivez l’appuie-main ! Voici le biceps, interrompit Valentin, frappant à coups redoublés sur la toile frémissante, justement à l’endroit où Colomb étalait ses bras monstrueusement gonflés sous les manches du pourpoint chamois qui semblait les étreindre avec peine… Le biceps, lady Brambledown, est un muscle d’une surprenante vigueur…

« — … Qui prend naissance dans le corps humain par deux extrémités ou têtes, reprit le docteur…

« — Et sert, dit à son tour Valentin, lui coupant la parole… — Mille excuses, docteur, mais ceci est essentiel,… il sert…

« — Pardon, à mon tour, interrompit le docteur, légèrement contrarié ;…