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cherche pas à concilier Le dogme de la rédemption avec sa théorie; mais l’on conçoit très bien que le fond du système en est indépendant. Tout ce qu’il permet à sa raison, c’est d’expliquer philosophiquement le dogme chrétien de la résurrection, et de donner aux espérances de l’homme cet appui nouveau que la philosophie ne s’était pas mise en peine de lui procurer[1].

En tirant du christianisme une partie de ses argumens, Bonnet s’était d’avance obligé à établir les preuves de la religion chrétienne; il n’y a pas manqué. Les derniers efforts de cette forte et sereine intelligence, au milieu des ténèbres croissantes qui allaient s’épaississant devant ses regards, furent consacrés à cette tâche du philosophe et du chrétien. Peut-être le terrible coup qu’avaient porté à la cause de son parti les Lettres de la Montagne lui fit-il envisager comme un dernier devoir à remplir envers sa patrie la réfutation des raisonnemens de Rousseau contre la révélation. Ce qui est plus certain, c’est qu’il resta sur les hauteurs que sa calme intelligence parcourait d’un pas si assuré, et qu’il ne descendit pas aux récriminations et aux réfutations amères. Ses raisonnemens sur ce sujet se résument en une conclusion qui est tout l’opposé de ce pas en arrière que fait Rousseau dans la Profession du Vicaire savoyard, lorsqu’après son admirable aveu sur la sainteté des Évangiles, il se détourne subitement du christianisme. « Je ne dirai point que la vérité du christianisme est démontrée, cette expression, admise et répétée avec trop de complaisance par les meilleurs apologistes, serait assurément impropre; mais je dirai simplement que les faits qui fondent la crédibilité du christianisme me paraissent d’une telle probabilité, que si je les rejetais, je croirais choquer les règles les plus sûres de la logique et renoncer aux maximes les plus communes de la raison. »

Les recherches sur le christianisme sont le couronnement de la Palingénésie et des travaux de Charles Bonnet. En repos sur les grandes questions qui intéressaient son âme, et bien abrité désormais dans l’édifice de ses convictions contre les doutes et les vents du siècle, il ne s’occupa plus qu’à revoir attentivement ses œuvres pour l’édition qu’on en publiait à Neuchatel et à écrire à ses amis[2].

  1. Les philosophes de son temps n’avaient pas de pareils soucis; Bonnet le leur reproche avec cette réserve et cette douceur qui ne l’abandonnent guère, même en face de ses plus vifs contradicteurs : « Lorsque les philosophes entreprennent de détruire ce qu’ils nomment des préjugés, il serait très convenable qu’ils leur substituassent des choses d’une utilité équivalente. Il ne faut pas que le philosophe ressemble à la mort, qu’on peint armée d’une faux; mais, si le philosophe peut quelquefois être représenté armé d’une faux, il doit au moins porter dans l’autre main une truelle. »
  2. S’il en avait eu le temps, il aurait peut-être écrit encore un ouvrage dont il avait tracé l’esquisse dans sa tête : c’était un Essai sur l’Histoire de la Providence, où, en parcourant rapidement les révolutions physiques et morales de notre planète, il aurait tenté de découvrir les vues de La sagesse divine dans ces révolutions. Voyez une lettre de Bonnet à J. de Müller dans les Œuvres complètes de l’historien allemand, tome XV, page 324.