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de Lamanosc, un enfant de la commune, fils de la même terre, élevé avec lui dans la même école, la même église et la même famille ! Et quand je vois ces abominations, vous voulez que je me taise ? La haine et la vengeance, voilà les ennemis qui sont dans Lamanosc. et vous voulez que je garde le silence, quand il n’y a pas une maison, pas une, où ces ennemis ne soient entrés en maîtres ? Ah ! c’est contre eux qu’il faut sonner le tocsin et prendre les armes, et si vous ne les chassez, il ne vous servira de rien d’élever des barricades et de charger des fusils. Le beau travail de repousser les gens des villages pour vous déchirer ensuite entre vous plus à l’aise ! La bonne et l’utile victoire, si vous devez vous retrouver le lendemain en face de vous-mêmes, c’est-à-dire de vos vices, de vos mensonges et de vos calomnies ! Ah ! qu’ils viennent, ces ennemis du dehors, qu’ils viennent avec le fer et le feu dans cette commune déjà saccagée, ruinée par les discordes, toute souillée de violences et d’envies ; ils n’y feront jamais pire besogne que vous, et quand bien même ils tueraient vos corps, ils seront moins bandits que vous, qui tous les jours tuez vos âmes. Mauvaise commune, mauvais citoyens ! Malheureux, vous voilà d’accord pour la guerre, et vous n’avez pas su l’être pour l’amitié ! Ah ! si longtemps qu’il me restera sang aux veines et souffle dans l’âme, je vous le redirai, vous ne serez rien, vous ne pourrez rien tant que le frère n’aura pas pardonné au frère, et pour lui-même demandé son pardon. Voilà ce qu’il faut faire, et dès aujourd’hui, sur l’heure ! Il m’est commandé de vous le dire. Gens de Lamanosc, s’il y a ici dans la commune personne de la paroisse, homme ou femme, vieillard ou enfant, âme qui vive, à qui, de ma volonté ou à mon insu, j’aie fait tort et misère, qu’il vienne ici donner son témoignage, et, devant Notre-Seigneur et devant toute la commune, à genoux, comme pécheur, je lui demanderai son pardon.

Un homme de haute stature sortit de la foule et vint se présenter devant le prêtre, le fusil à la main.

— Je suis Jean Malaterre, dit-il, Jean-Siméon Malaterre, fils d’Hilarion-Siméon Malaterre.

Ce Jean Malaterre était arrivé pendant la nuit avec le contingent des hameaux qui dépendent de Lamanosc. C’était un homme violent et hardi, d’humeur sombre, déjà sur l’âge, dur et retenu dans ses paroles, vivant seul avec ses chiens et ses éperviers, toujours en chasse dans la montagne. Les gendarmes le redoutaient et ne s’avisaient pas de lui demander son port d’armes. Quand ils battaient le pays, ils ne se hasardaient jamais dans la pinière où Malaterre avait construit sa hutte, au terroir des Baux. Un jour d’émeute, vers 1831, Malaterre avait insulté et frappé le curé à la porte de l’église. Après un mois de détention préventive, il avait été condamné à vingt jours