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gens de Lardeyron et de Meyrenc, enveloppés, pressés, reculèrent et rompirent en désordre. L’élan fut irrésistible ; au dernier choc, ils s’enfuirent en abandonnant leurs blessés sur le champ de bataille. Les fuyards se rallièrent dans les vignes et se replièrent sur Lardeyron à la tombée de la nuit.

Le combat avait cessé, mais dans les villages l’exaspération était grande. Des deux côtés, on s’accusait de traîtrise. À Meyrenc comme à Lardeyron, on racontait déjà que les prisonniers laissés à Lamanosc avaient été assassinés et mutilés horriblement par les femmes. Personne n’en doutait. Les nouvelles les plus absurdes circulaient et trouvaient crédit, comme il arrive dans ces momens de grande crédulité publique. Les plus ardens sonnèrent le tocsin ; ils prirent leurs fusils, parlant de retourner à la bataille à l’instant même. On les retint à grand’peine. Des messagers furent envoyés dans les villages voisins pour raviver les vieilles haines ; on alluma des feux sur les collines, on campa en armes sur la place. Il fut décidé qu’à l’aube on marcherait sur Lamanosc, à l’arrivée des renforts.

En même temps, l’alarme était donnée à Lamanosc par des bergers qui revenaient de la foire. Robin s’était pendu à la cloche, Triadou prit la caisse et battit la générale, les paysans arrivèrent de tous côtés sur la place, et le caporal se mit à les haranguer devant le Café d’Apollon. De son côté, le sergent Tistet ramassait des volontaires et les postait à la mairie, sous les fenêtres de la salle de bal, où les conseillers délibéraient à grands cris.

Robin avait mis en réquisition toutes les futailles du Café d’Apollon. Les caves furent occupées militairement, les brocs se vidèrent, on chanta la gloire, et les orateurs montèrent sur les tables. Le caporal fit voter l’état de siège. A chaque instant, il arrivait des nouvelles ; on disait que dix villages descendaient sur Lamanosc. Robin croyait tout ; Robin proposait de hisser le drapeau noir, de couper le pont, d’incendier le faubourg et les granges, et d’attendre l’ennemi derrière le vieux rempart, puis de se replier dans l’église et de s’y faire sauter, si le village était emporté. Triadou avait déjà attaché un pétard sous le pont. Au milieu de tout ce tumulte survint le lieutenant Cazalis. Les paysans l’entourèrent et lui offrirent le commandement : il accepta de grand cœur ; mais comment se délivrer de Robin et de ses motions extravagantes ? Le caporal venait d’organiser une promenade civique. Tous les gens de la Mule-d’Or défilaient sur la place en agitant des torches et en tirant des coups de fusil. Le caporal leur avait composé des costumes de fantaisie avec des chemises flottantes, des écharpes rouges, des draps noués en burnous ; quelques-uns étaient à demi nus et tout empanachés de branches de chêne ; d’autres étaient couverts d’oripeaux de théâtre. Robin s’était