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de pastèques. Presque tous les tragédiens s’étaient enfuis ; de tous côtés, on se ruait à l’escalade. Le maire fit un dernier effort pour arrêter les assaillans ; il voulut haranguer Le peuple et donna l’ordre aux valets de ville de préluder par des roulemens de caisse. Massapan lui rit au nez et se mit à jongler avec ses baguettes, en faisant des grimaces comiques. Quant au tambour de la farandole, sa caisse était déjà crevée, et Cascayot s’en coiffait comme d’un colback. Le brigadier courut sur Sambin ; en un instant, il fut saisi, désarmé, jeté sur le chemin. Les trois gendarmes se mirent en défense ; mais à peine eurent-ils dégainé, qu’ils furent enveloppés, terrassés, et leurs armes, tordues, brisées, servirent à les frapper. Quant au cavalier qui arrivait en estafette, il n’eut pas même le temps de mettre pied à terre : au saut de l’étrier, il fut pris par les jambes, enlevé et lancé par-dessus la haie en compagnie de ses camarades.

Le maire s’était précipité au secours de son brigadier ; tête baissée, il fit une trouée devant lui, renversant tout, forçant le passage, au milieu de cette foule en démence. Par derrière, un manœuvre vint lui pousser un banc dans les jambes, et Tirart, renversé, piétiné par la foule, fut jeté dans le fossé où gisaient les cinq gendarmes couverts de sang et de boue, morts ou blessés.

Espérit restait seul sur le théâtre ; les pierres et les décors tombaient autour de lui de tous côtés, sans qu’il songeât à se retirer. Il s’imputait tous les malheurs de cette journée ; le sentiment de cette responsabilité l’accablait. Déjà les saccageurs démolissaient le théâtre ; il les regardait avec une sorte de stupeur, immobile, attéré ; les poutres s’ébranlaient, les planchers fendus craquaient sous ses pieds ; il n’entendait rien, il ne voyait rien, et les charpentes allaient s’écrouler sur lui, lorsque Cabantoux parvint à l’enlever.


IV.

Quand tout fut dévasté, une danse formidable commença sur les décombres, et la foule, libre, victorieuse, se répandit sur le chemin, puis tout à coup deux farandoles ennemies se formèrent. — A la Garrigue, à la Garrigue ! crièrent les jeunes gens. Et tous, d’un commun accord, coururent vers ce champ de bataille, vaste lande découverte qui s’étendait au bas de la colline. Les femmes s’enfuyaient en emportant leurs enfans. Des vergers à la Garrigue roulait et piétinait une foule furieuse. Les garçons de Lamanosc et des villages se provoquaient avec des cris sauvages ; ils arrachaient leurs chemises pour combattre à nu. Bientôt ils s’entrechoquèrent dans une mêlée terrible ; les vaincus tombaient et se relevaient sans plainte, et revenaient à la bataille déchirés, sanglans, enthousiastes,