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Arrivé au milieu de l’estrade, devant le buste du roi, il croisa les drapeaux, et les tambours battirent aux champs :

— À l’union des quatre communes ! dit-il. Vive Meyrenc ! vive Lardeyron ! vive Lanjade ! et vive Lamanosc ! Vive le roi ! vive Tirart !

À ce dernier cri, il jeta son chapeau en l’air, et la foule répondit par des applaudissemens frénétiques.

— Maintenant silence ! dit le maire.. Massapan, fais baisser et relever la toile, et qu’on recommence toute la pièce pour nos amis des villages.

La tragédie fut reprise avec un grand succès. Dès la première scène, les gens de la farandole furent conquis, séduits par l’attrait du spectacle. Poésie creuse, tragédie de collège que cette Mort de César ! les beaux esprits du dernier siècle en ont fait leurs délices. L’action du temps est des plus sensibles sur ces œuvres secondaires qui visent au sublime ; mais sous ces formes vieillies, sous cet apparat suranné vit toujours le grand drame de l’histoire, et l’instinct des masses ne s’attache qu’à l’intérêt très réel qui sort du fond du sujet même, de la grandeur des situations ; il s’y attache avec ce bon vouloir, cette force d’attention que l’enfance porte dans ses premières lectures, et pour un public neuf, inexpérimenté, enthousiaste comme celui de Lamanosc, ces évocations du passé seront toujours saisissantes et pathétiques. La patrie, la liberté, la gloire, l’horreur de la tyrannie, les ambitions enjeu, César et Brutus, ces grands noms, ces grandes choses, ces paroles magiques et ces souvenirs impérissables de Rome notre mère, ces appels aux passions, cette éclatante mise en scène des actions et des sentimens virils, c’était là pour eux toute la tragédie ; tout un monde héroïque revivait sous leurs yeux. Pour eux d’ailleurs, ce n’était pas simplement un plaisir, une fête ; c’était plus qu’un spectacle, c’était un acte, un événement de leur vie, un travail spirituel, l’éveil des intelligences. Quel sérieux et quel silence ! quelle attention ardente, farouche, ombrageuse ! Les jeunes citadins, clercs et courtauds, qui s’étaient promis de rire de cette tragédie rustique, se tenaient cois, et prudemment rentraient en poche les clefs forées. Celui qui se serait avisé de siffler eût été lapidé sur place, déchiré en lambeaux. C’était merveille de voir à quel point la passion commune apaisait et disciplinait ces populations turbulentes. Les élémens les plus hostiles se trouvaient rapprochés, unis, confondus. Jeunes et vieux, paysans et moussus, gens de Lamanosc et des villages, factieux et mutins, ils étaient là tous dans la même attitude, inclinés en avant, les mains sur les genoux, suivant la déclamation sans perdre un vers, un hémistiche, une syllabe, et de la tête marquant en mesure les cadences des vers sonores. La redondance même des périodes voltairiennes charmait