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tomba dans le scepticisme, le dégoût de toute chose, et se réfugia dans une sagesse désespérée : « Vanité des vanités !… Rien de nouveau sous le soleil…, Augmenter sa science, c’est augmenter sa peine… J’ai voulu rechercher ce qui se passe sous le ciel, et j’ai vu que ce n’était qu’affliction d’esprit. »

On sent combien nous sommes loin de l’idéal pur d’Israël. La vocation d’Israël n’était ni la philosophie, ni la science, ni l’industrie, ni le commerce. En ouvrant ces voies profanes, Salomon fit en un sens dévier son peuple de sa destinée toute religieuse. C’en était fait du vrai Dieu, si de pareilles tendances eussent prévalu. Le christianisme et la conversion du monde au monothéisme étant l’œuvre essentielle d’Israël, à laquelle le reste doit être rapporté, tout ce qui l’a détourné de ce but supérieur n’a été dans son histoire qu’une distraction frivole et dangereuse. Or, loin d’avoir avancé cette grande œuvre, on peut dire que Salomon fit tout pour la compromettre. S’il eût réussi, Israël eût cessé d’être le peuple de Dieu, et fût devenu une nation mondaine comme Tyr et Sidon. Les prophètes eurent sous lui peu d’influence. Entraîné par ses relations avec les peuples les plus divers et par le désir de plaire à ses femmes égyptiennes, sidoniennes, moabites, il arriva à une sorte de tolérance pour les cultes étrangers. On vit sur le mont des Oliviers des autels à Moloch et à Astarté. Quoi de plus contraire au premier devoir d’Israël ? Gardien d’une idée à laquelle le monde devait se rallier, chargé de substituer dans la conscience de l’homme le culte du Dieu suprême à celui des divinités nationales,Israël devait être intolérant, et affirmer hardiment que tous les cultes en dehors de celui de Jéhovah étaient faux et sans valeur. Le règne de Salomon fut ainsi, à beaucoup d’égards, un intervalle dans la carrière sacrée d’Israël. Le développement intellectuel et commercial qu’il avait favorisé n’eut pas de suite. Sur la fin de sa vie, les prophètes, qu’il avait réduits au silence, reprirent le dessus et lui firent une vive opposition. Ses ouvrages, considérés comme profanes, se perdirent pour la plupart, sa mémoire resta douteuse, et la largeur d’idées qu’il avait un moment inaugurée ne laissa en Israël qu’un vague et brillant souvenir.

Nous voyons se manifester ici la grande loi de toute l’histoire du peuple hébreu, la lutte de deux besoins opposés qui semblent avoir toujours entraîné en sens contraires cette race intelligente et passionnée : d’une part la largeur d’esprit, aspirant à comprendre le monde, à imiter les autres peuples, à sortir de l’étroite enceinte où les institutions mosaïques renfermaient Israël ; de l’autre la pensée conservatrice à laquelle le salut du monde était attaché. Les prophètes sont les représentans de la tendance exclusive ; les rois, d’une pensée plus large et plus ouverte aux idées du dehors. Le prophétisme,