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Adonias. Salomon l’emporta, grâce à la préférence de son père et à une intrigue de harem dirigée par sa mère Bethsabée, qui fut toujours l’épouse favorite. L’affaire fut décidée par les forts de David, petite troupe de soudards de la plus rude espèce, qui avait fait le nerf du règne précédent. La volonté de David fut prépondérante, tant il avait accoutumé Israël à lui obéir. Le plus sage des rois inaugura son règne, suivant l’usage de l’Orient, en faisant égorger Adonias et son parti. Adonias, s’il l’eût emporté, eût traité de même, sans aucun doute, le parti de Salomon. Quoi qu’il en soit, ces perturbations apportées à l’hérédité eurent de graves conséquences, et portèrent à la légitimité en Israël un coup dont elle ne se releva jamais.

Si l’idée d’une monarchie conquérante traversa un moment la tête de David, habitué à vivre avec ses hommes de guerre et les Philistins, c’était là une idée impossible à réaliser, et qui fut bientôt abandonnée. Le peuple hébreu était incapable d’une grande organisation militaire, et en effet, sous Salomon, tout ce grand appareil de guerre tourne à la paix. Le règne de Salomon resta l’idéal profane d’Israël. Ses alliances avec tout l’Orient, sans égard pour les différences de religion, son superbe sérail, qui renfermait jusqu’à sept cents reines et trois cents concubines, l’ordre et la beauté des services de son palais, la prospérité industrielle et commerciale de son temps, réveillèrent dans les imaginations ce goût du bien-être et des joies mondaines auquel Israël s’est abandonné toutes les fois que l’aiguillon de la souffrance ne l’a point poussé vers de plus hautes destinées. Le Cantique des Cantiques est l’expression charmante de la vie gaie, heureuse, finement sensuelle d’Israël, à l’un de ces momens où, laissant sommeiller la pensée divine, il s’est donné au plaisir. Une littérature profane, commune en partie aux peuples voisins de la Palestine, prit le dessus sur la poésie lyrique des psalmistes et des voyans. Salomon cultiva lui-même cette sagesse mondaine presque étrangère au culte de Jéhovah, et qui n’est guère que l’art de réussir ici-bas. On lui attribue des ouvrages, et il est certain qu’il écrivit. Moins poète et bien moins doué que son père du sentiment vrai de la vocation d’Israël, il se mit à décrire les créatures, « depuis le cèdre jusqu’à l’hyssope[1] ; » puis, s’il faut en croire la légende, il

  1. M. Ewald entend par cette expression une cosmographie dans le genre de celle du naturaliste arabe Kazwini, on description de toutes les créatures en commençant par les plus grandes et en finissant par les plus petites. J’aime mieux croire qu’il s’agit de moralités tirées des animaux et des plantes, analogues à celles que nous lisons dans les Proverbes (ch. XXX) ou à celles du Physiologus et des Bestiaires, qui furent si populaires au moyen âge. L’idée d’une science descriptive de la nature est restée étrangère aux peuples sémitiques jusqu’à leur contact avec l’esprit grec.