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pourtant on le regarde avec plaisir, parce qu’il étonne par le maniement de l’outil. L’engouement des privilégiés de la fortune pour Tahan ne me semble pas justifié une fois sur dix ; mais cette fois je l’excuserais de grand cœur. On trouve sans doute dans le passé des meubles très supérieurs à ce morceau de poirier sculpté ; toutefois il faut admirer la dextérité de l’ouvrier. Si un architecte, un peintre ou un sculpteur voulait se charger de le diriger, il n’aurait pas à regretter ses conseils. L’ébénisterie comme l’orfèvrerie ne peut intéresser que par la forme humaine. Tant qu’elle s’en tient à l’ornementation, elle ne peut espérer qu’une attention passagère. Or, si un ouvrier rencontre parfois des motifs ingénieux, s’il entrelace d’une façon heureuse des branches chargées de fruits et des tiges chargées de fleurs, lorsqu’il s’agit d’inventer des figures, de leur donner un mouvement déterminé, il ne trouve pas en lui-même les élémens d’une telle composition. Il lui faut un guide formé par l’étude des grands modèles. Parmi ceux qui manient l’outil avec le plus d’habileté, il n’y en a pas un qui ne comprenne la nécessité de se soumettre à cette condition.

L’examen attentif de l’orfèvrerie et de l’ébénisterie nous amène à une conclusion très simple : aujourd’hui, à proprement parler, l’invention ne joue aucun rôle dans ces deux industries ; les plus habiles se bornent à copier le passé. On a beau faire et parler de l’adresse de tel ou tel ouvrier, il faut toujours en revenir aux termes de cette conclusion. On veut des meubles historiques, des bijoux historiques, de la vaisselle plate historique : c’est maintenant la fantaisie à la mode, et, pour parler avec justice, nous sommes obligé de l’accepter ; mais ceux qui fondent, qui repoussent, qui cisèlent l’argent, ceux qui sculptent le chêne, le palissandre et le poirier, choisissent-ils dans le passé les époques les plus fécondes, les plus ingénieuses, celles qui se recommandent par la pureté du goût, par la simplicité, par l’harmonie linéaire ? Telle est la question qui se pose naturellement, et, si l’on néglige de la discuter, on ne sait pas à quoi s’en tenir sur la valeur des travaux exécutés par les orfèvres et les ébénistes.

L’imitation des meubles et des bijoux gothiques est à peu près abandonnée, et je ne m’en plains pas, car, tout en reconnaissant ce qu’il y a de naïf et parfois d’inspiré dans l’art du moyen âge, je n’ai jamais pensé qu’on dût le prendre pour modèle. Du Ve au XVe siècle de l’ère chrétienne, l’imagination humaine n’a pas sommeillé ; elle n’a pourtant rien produit qui puisse servie à renseignement. J’admire sincèrement Notre-Dame de Reims et Notre-Dame de Paris ; cependant je ne crois pas que l’étude exclusive de ces deux grands ouvrages puisse servir de base à l’éducation des