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évidence. M. Durand est à coup sûr un des plus habiles parmi les hommes de sa profession ; il est anime du désir de bien faire, il veut s’élever au-dessus du niveau commun, et j’aurais mauvaise grâce à nier qu’il ait touché le but de son ambition. Cependant, quoique son service à thé soit de meilleur goût que la plupart des ouvrages exposés au Palais de l’Industrie, il est certain qu’avec le secours des ouvriers intelligens dont il dispose, il aurait pu faire mieux encore.

Pour réaliser le vœu que j’exprime ici, il faudrait absolument renoncer aux usages consacrés dans l’orfèvrerie, c’est-à-dire mettre le travail manuel sous la direction de la pensée, n’employer les ouvriers qu’après avoir pris conseil d’un peintre ou d’un sculpteur. Les ouvriers les plus adroits, ceux qui sont familiarisés depuis longtemps avec les difficultés du métier, ne peuvent cependant deviner ce que l’étude seule pourrait leur enseigner. Guidés par un sculpteur qui aurait cultivé son intelligence d’une manière générale, ils réaliseraient des prodiges. Aujourd’hui chez nous les choses ne se passent pas ainsi. On n’a jamais tant parlé d’art à propos d’industrie, et jamais peut-être les artistes vraiment dignes de ce nom n’ont été plus rarement consultés pour les questions où ils sont seuls compétens. Les fabricans prodiguent l’or, l’argent, la main-d’œuvre, et ne veulent pas consentir à dépenser pour le modèle une somme raisonnable. La fonte et la ciselure sont pour eux les deux points capitaux de l’orfèvrerie ; la conception, la composition, la pureté du style ne sont à leurs yeux que des points secondaires. Le travail de l’outil remplace presque toujours le travail de la pensée. Non-seulement l’invention joue un rôle à peu près nul dans l’orfèvrerie française, ce qui s’explique trop facilement par les usages de cette profession, mais la plupart des pièces exécutées à grands frais manquent d’unité. On fait pour le modelage ce que l’on fait en horlogerie pour les ressorts et les rouages. La besogne se distribue à des ouvriers qui font toute leur vie la même chose : l’un se charge des figures, l’autre des fruits et du feuillage. Comment espérer que l’œuvre conçue dans de telles conditions atteigne jamais à l’unité ? Qu’il s’agisse d’une salière ou d’une fontaine, d’une aiguière ou d’un miroir, tant que la composition ne sera pas confiée à une seule intelligence, tant que l’exécution ne sera pas soumise au contrôle souverain de l’inventeur, les orfèvres de notre pays, malgré le rang élevé qu’ils occupent en Europe, seront toujours bien loin des orfèvres de la renaissance. Ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni l’Italie ne peuvent lutter avec nous pour l’emploi des métaux précieux. Elles le savent si bien qu’elles embauchent nos plus habiles ouvriers. C’est à la France qu’elles demandent le moyen de combattre la