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a-t-il accompli réellement la tâche qu’il s’était proposée ? A-t-il reproduit fidèlement les modèles qu’il avait entrepris de copier ? Pour résoudre cette question, il suffit de consulter les originaux. Or je ne crains pas d’affirmer que l’étude des originaux nous signale, dans les bronzes de M. Barbedienne de nombreuses infidélités. Tous ceux qui ont vu au musée du Vatican le groupe du Laocoon, trouvé dans les thermes de Titus, et qui passe parmi les antiquaires pour une réplique de l’œuvre d’Apollodore, cherchent vainement dans le bronze de M. Barbedienne les finesses de modelé qu’ils ont admirées dans le marbre de Rome. Ceux mêmes qui n’ont vu que la copie fondue par les frères Keller s’étonnent de la manière plus que hardie dont M. Barbedienne a simplifié le modèle. Puisque nous avons perdu l’œuvre originale d’Apollodore, nous sommes obligés d’accepter comme équivalent le marbre trouvé dans les thermes de Titus. Eh bien ! dans le bronze exposé au Palais de l’Industrie, je ne retrouve pas ces belles divisions musculaires du torse et des membres étudiées avec tant d’ardeur et de persévérance par les statuaires de tous les pays qui veulent toucher le but suprême de leur profession. Je n’ai jamais songé à mettre le Laocoon sur la même ligne que le Thésée ou le torse mutilé de l’Hercule au repos. Cependant il y a dans ce groupe une science profonde, bien qu’elle se révèle d’une manière un peu systématique, et toutes les belles divisions dont je parle sont à peu près effacées dans le bronze de M. Barbedienne.

À quoi tient ce défaut ? Le modèle est réduit par les procédés mathématiques de M. Collas, et pourtant la copie n’est pas fidèle. Pour expliquer cette mésaventure, il convient de considérer deux points : la méthode suivie pour la réduction, et la méthode suivie pour la fonte. Les procédés de M. Collas, excellens pour les bas-reliefs, ne présentent ni les mêmes avantages, ni la même sécurité pour les figures en ronde bosse. Pour la réduction de ces dernières, on est obligé de faire des coupes, et la réunion des morceaux réduits séparément est une première cause d’infidélité. La fonte au sable, deux fois moins chère que la fonte à cire perdue, et qui est seule adoptée par le commerce, présente les mêmes dangers. Au lieu de fondre le modèle d’un seul morceau, on le divise : le travail est ainsi simplifié ; mais qu’arrive-t-il ? Lorsqu’il s’agit d’ajuster les morceaux fondus, le gauchissement qui a pu se révéler dans l’assemblage des pièces moulées devient plus sensible encore. Pour l’effacer ou du moins l’atténuer, le fabricant a recours au ciseleur, et c’est le dernier coup porté au modèle. Je n’accuse pas M. Barbedienne de négligence ou d’impéritie : pour réaliser des bénéfices, il se conforme aux usages de l’industrie ; mais j’accuse le public de crédulité. Sur la foi des procédés Collas, il accepte les bronzes dont je parle comme des copies