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Mme de Staël, qui lui demandait pourquoi il n’était pas de l’Académie, il lui avait répondu par le quatrain suivant :

Je vois l’académie où vous êtes présente ;
Si vous m’y recevez, mon sort est assez beau ;
Nous aurons à nous deux de l’esprit pour quarante,
Vous comme quatre et moi comme zéro.

L’ancien gentilhomme appliquait même aux princes de l’ère nouvelle ce don de louer gracieusement qu’il avait eu au suprême degré. Voici des vers qu’il fit, chez la princesse Élisa Bacciocchi, sur le prince Jérôme Bonaparte qui revenait d’une croisière :

Sur le front couronné de ce jeune vainqueur
J’admire ce qu’ont fait deux ou trois ans de guerre ;
Je l’avais vu partir ressemblant à sa sœur,
Je le vois revenir ressemblant à son frère.

Les vers étaient jolis, mais ce n’était plus guère le temps des jolis vers, et M. de Boufflers ne fut pas préfet.

Triste destinée, après tout, que celle de M. de Boufflers, et dont il ne faut pas imputer le désappointement à la révolution seulement ! Avant la révolution, les contemporains de M. de Boufflers, le voyant vieillir sans mûrir, l’avaient jugé avec la sévérité de l’espérance trompée ou de l’envie satisfaite. Laclos, faisant son portrait, sous le nom de Fulber, dans la Galerie des États-Généraux, avait dit de lui : « Fulber eût été le plus heureux des hommes, s’il avait pu demeurer toujours à vingt-cinq ans. Récits voluptueux, couplets amusans, vers agréables, cette foule de rêves qui sont les hochets d’une jeunesse partagée entre l’amour et les talens donnent une espèce de célébrité ; mais lorsque la saison des folies aimables est passée, lorsque la raison vient revendiquer ses droits, elle rougit de succès dus à de si petites choses. Fulber en est à ces tristes expériences. Né sérieux, il veut être gai ; frivole, il veut être grave ; bon, il veut être caustique. Il est né quatre-vingts ans trop tard. » Rivarol, plus sévère encore que Laclos et accusant la vivacité de M. de Boufflers d’aller jusqu’à l’inconséquence, le caractérisait ainsi : « Abbé libertin, militaire philosophe, diplomate chansonnier, émigré patriote, républicain courtisan. » Il y a là assurément trop de contrastes pour une seule vie ou pour un seul caractère ; mais tous ces contrastes ne sont pas des défauts, et j’avoue que l’émigré patriote et le militaire brave et philosophe me plaisent fort.

J’ai voulu jeter un coup d’œil sur la vie de M. de Boufflers pour montrer ce qu’était ce prétendu rival de Rousseau, qui aida, sans le savoir, à son déclin auprès de Mme de Luxembourg. Rousseau, en effet, n’avait rien pour lutter contre cette brillante amabilité. Il faisait son possible pour plaire ou du moins pour ne pas déplaire à