sances de l’Occident. C’est là justement un des points mis en lumière dans l’Annuaire qui vient de paraître, c’est comme une pensée qui se développe dans l’œuvre tout entière. Ce sont surtout les partis violens et extrêmes, les absolutistes et les révolutionnaires de tous les pays qui viennent en aide à la Russie. Dans le Nouveau-Monde, par exemple, la cause de l’Occident rencontre des adversaires parfois assez étranges. Les premiers de ceux-ci certainement sont les Américains du Nord, soit prédilection pour la Russie, soit qu’ils se promettent de leur alliance avec elle des avantages, comme la cession de l’Amérique russe. Ce n’est pas tout : peu avant sa mort, au commencement de 1855, l’empereur Nicolas paraît avoir écrit une lettre au président Pierce pour proposer à l’Union américaine une alliance offensive et défensive, en insistant sur les dangers de l’alliance de la France et de l’Angleterre. Un grand conseil fut tenu à Washington, et les propositions du tsar trouvèrent des partisans. Un avis plus modéré prévalut cependant ; les dangers d’une telle lutte apparurent sans doute aux hommes d’état américains les plus prévoyans, et les États-Unis se sont réfugiés dans leur système de malveillance jalouse.
Est-ce donc dans la grande république seulement que la Russie compte des adhérens ? Elle a aussi ses amis et ses auxiliaires dans l’Amérique du Sud elle-même. Non pas que ce sentiment soit universel. Les partis éclairés et sagement libéraux, les gouvernemens intelligens et modérés suivent d’un regard sympathique les victoires de la cause occidentale. Il en est ainsi surtout au Chili, à Buenos-Ayres, dans un petit pays qui échappe à toutes les révolutions, Costa-Rica. Les amis de la Russie se composent de tous les dictateurs, de ce vieux parti absolutiste, qui n’est qu’un débris du régime colonial et des révolutionnaires. Quant aux Américains du Nord, s’ils ont tant de complaisance pour l’ambition de la Russie, c’est qu’ils ont à s’en faire pardonner une pareille. Voyez-les en effet ces Russes de l’Atlantique, s’avancer et serrer de toutes parts ce monde espagnol : chaque année atteste la marche de cette race audacieuse. Les États-Unis couvent du regard le Mexique, ils le démembrent lambeau par lambeau. À l’isthme de Panama, les Américains régnent, ils bâtissent des villes, ils possèdent le chemin de fer interocéanique, et il semble que la Nouvelle-Grenade prépare leur domination complète en faisant de Panama un état fédéral et séparé. Dans la Plata, un commodore américain parlait tout simplement, il y a quelques mois, de mettre la main sur l’îlot de Martin Garcia, qui commande la navigation du fleuve. Partout il en est ainsi. Que les États-Unis souhaitent le triomphe de la Russie, cela est assez simple peut-être ; ils y voient le triomphe de leur principe et la défaite de la seule force sérieuse qu’ils rencontrent partout dans leurs entreprises, — la force combinée ou séparée de la France et de l’Angleterre. C’est justement pour cela que la cause occidentale est la cause de l’Amérique du Sud elle-même menacée par l’ambition yankee. La guerre poursuivie en Orient et jusqu’ici victorieuse domine donc l’histoire contemporaine, exerce son influence sur toutes les politiques et touche à tous les intérêts. Ce n’est pas seulement une question européenne ; à la considérer dans son principe, dans son but, dans les conséquences qui s’y rattachent, c’est la question de la civilisation et de la sécurité du monde.