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changé par tous les moyens, si elle ne voulait pas se créer à elle-même des dangers sans cesse renaissans et s’attacher au flanc un ulcère rongeur, si elle ne voulait, comme le disait naguère avec force un spirituel et ingénieux écrivain, faire de l’Italie l’Irlande du continent.

Là surtout a été le grand point gagné, et auquel ont contribué bien des événemens, dont quelques-uns malheureux et même injustes que nous n’avons pas besoin de citer. Désormais la politique des puissances occidentales est toute tracée ; elles ont besoin, pour se protéger elles-mêmes, de la régénération italienne, et elles ont pour allié l’instrument même de cette régénération. Les puissances occidentales ne peuvent désormais agir au-delà des Alpes sans le Piémont; il est donc désirable pour les Italiens qu’elles n’agissent jamais que par lui, de manière à identifier leurs intérêts particuliers en Italie avec ceux de l’Italie même. Grâce à l’alliance du Piémont avec les puissances occidentales, il ne peut plus guère y avoir dans l’avenir aucune de ces interventions directes et armées de l’Occident qui ont été la ruine de la péninsule, car cette alliance fait tacitement du Piémont l’arbitre suprême des affaires italiennes. Mais cette alliance avec l’Occident confère encore à l’Italie un dernier bienfait, qui est le plus grand de tous : elle fait rentrer dans la politique active de l’Europe l’Italie, qui depuis des siècles n’avait joué qu’un rôle passif, une rôle de souffrance et de misère. Chacun des succès de l’Occident est aussi un succès pour elle, chacune de nos victoires est une victoire pour elle, chacun des Te Deum qui se chantent à Turin ébranle les voûtes des casernes ou des palais de ses ennemis. De même qu’elle partage nos dangers, l’Italie partagera aussi nos triomphes, et le moment viendra où dans nos conseils une voix italienne s’élèvera pour stipuler en faveur de l’Italie. Puisse ce moment n’être pas éloigné, et tous les Italiens comprendre, en l’attendant, que le seul moyen de régénération pour leur pays n’est pas dans des théories nébuleuses et dans des proclamations ridicules, et que les murailles de Jéricho tombent plus facilement, de nos jours, sous le canon que sous le son des trompettes, dont certains patriotes italiens, trop préoccupés de leur personne, assourdissent les oreilles des contemporains!


EMILE MONTEGUT.