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faisceaux balayant la surface de la mer, et après avoir brillé à leurs yeux, les feux disparaîtront entre ces deux passages de deux faisceaux consécutifs. Ces apparitions et disparitions ont fait donner à ces phares le nom de phares à éclipses. L’observateur voit d’abord poindre une légère lueur qui se renforce graduellement, brille quelques instans de tout son éclat, et s’éteint ensuite par les mêmes degrés qui en ont marqué l’accroissement. La succession de ces éclats, qui n’est pas la même pour tous les phares, sert de plus à les distinguer entre eux. Ainsi tel phare a tant d’éclats par minute, et tel autre en donne un nombre différent. Il est impossible de les confondre. Voilà donc de précieuses indications qui permettent de rapprocher l’un de l’autre ces utiles auxiliaires de la navigation bien plus qu’on n’eût osé le faire autrefois, quand les feux fixes n’avaient rien qui les distinguât entre eux. L’exposition universelle contient un phare de premier ordre, avec ses feux allumés, ses éclats, ses éclipses, et tel qu’il va bientôt briller sur les côtes de l’Atlantique comme un fanal de sûreté. La curiosité peu intelligente des visiteurs du palais de l’industrie les pousse chaque jour à s’entasser dans la tour elle-même, tandis que c’est à l’extrémité la plus éloignée du phare qu’il faudrait se placer pour en bien observer les éclipses et les apparitions. Se mettre dans le phare même pour en voir l’effet, c’est faire la même chose qu’un homme qui, pour contempler un paysage, se placerait au milieu des arbres qui doivent faire point de vue.

Le premier grand phare que Fresnel put établir est celui qui sur la tour de Cordouan, à l’embouchure de la Gironde, donne de la sécurité à la dangereuse passe qui joint le fleuve à la mer. L’îlot qui porte le phare est souvent inaccessible pendant plusieurs semaines, tant la mer est furieuse à l’entour. Jour et nuit la mer tourmentée par le vent y mugit en sons qui assourdissent les oreilles :

          Ἀει δ' ἀνα νυϰτα ϰαι ἠω
Ἐξ ἁλος ἠνεμοεντος ἐπιϐρεμει οὐασιν ἠχη.

Ces vers grecs sont du poème grec d’Héro et Léandre, où l’on trouve plusieurs passages qui témoignent que la notion des phares était très familière aux anciens. En effet, le héros périt au moment où le vent éteint la lampe de la tour de Sestos, qui lui servait de guide.

La belle construction qui attire les regards au palais de l’industrie, et qui porte le nom de Phare Fresnel, offre au sommet d’une tour de grandeur naturelle une masse immense de verres taillés suivant des courbes régulières, et qui, recevant la lumière de la grande lampe centrale, la dirigent en faisceaux séparés pour balayer la surface de l’océan et n’en laisser aucun point privé de l’avertissement que son feu doit transmettre. Mais que peut dire à un bâtiment perdu