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maisons couvertes d’aluminium. La prudence nous commande une assez grande réserve dans de telles questions, et l’avenir d’une substance est aussi difficile à prévoir que la destinée d’un homme ou d’un peuple. L’Académie des Sciences, en décidant, il y a quarante ans, que le sucre de betteraves ne rivaliserait jamais avec le sucre de canne et que la production n’en deviendrait jamais importante pour notre industrie, a donné un exemple qui doit effrayer les moins timides. Les savans se sont trompés une fois par excès d’indépendance; craignons de tomber dans l’excès contraire : cela est plus à redouter aujourd’hui. Pourtant, si les espérances se réalisent, à quoi pourra servir l’aluminium? Il a la malléabilité du zinc et est inaltérable à l’air. Il pourra donc souvent le remplacer, et avec avantage, puisqu’il est trois fois plus léger. Il est aussi dur que le fer, et il est moins oxydable. Il pourrait donc servir pour les instrumens d’agriculture ou les armes de guerre. Les métaux purs sont très peu sonores, et les cymbales, les cloches, les tamtams, les gongs, sont formés d’alliages d’étain et de cuivre. L’aluminium au contraire, comme s’il devait faire exception à toutes les règles, est aussi sonore que les meilleurs timbres, ce qui lui assure encore un usage nouveau et imprévu. Il a l’éclat de l’argent et ne noircit pas comme lui; il pourra donc le remplacer toutes les fois que l’argent est employé, non pas à cause de sa valeur, mais à cause de ses propriétés physiques. La potasse caustique fondue ne l’altère pas; les creusets d’aluminium pourront donc être utiles. Pour les appareils de physique, les couverts de table, les plumes métalliques, les ornemens de toute sorte, le nouveau métal pourra remplacer l’argent, le fer et le cuivre. Il suppléera souvent à l’usage du platine, qui est rare et cher, et de métaux plus précieux encore, comme le palladium, métal fort utile, mais dont on ne peut obtenir de grandes quantités. Ainsi les dentistes l’emploient, et l’on sait que le limbe divisé d’un des grands cercles de l’observatoire de Paris est en palladium; il pourrait être en aluminium, toujours, bien entendu, si l’extraction de ce métal est perfectionnée, soit par une amélioration nouvelle dans la préparation du sodium, soit surtout par l’emploi d’un corps moins coûteux. En un mot, l’aluminium est peut-être appelé à remplacer tous les métaux communs et précieux employés aujourd’hui dans les arts et dans l’industrie. Il ne s’éloigne que des métaux de première classe, près desquels il était rangé jusqu’ici, et il semble propre à tous les usages que semblaient lui interdire les lois les plus raisonnables et les mieux prouvées de la chimie, telle qu’on l’enseigne depuis cinquante ans.


PAUL DE REMUSAT.