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titre plus sérieux et une expression plus réelle de son génie. Rien n’y manque, et l’œil en est ébloui. Ce ne sont qu’écharpes et fichus de mille couleurs, mouchoirs de bayadères à petits carreaux d’un rouge tendre, quadrillés d’argent et de nuances si vives et si multipliées qu’on les dirait empruntées aux ailes des papillons, tapis de table émaillés de fleurs, étoffes pour robes ou pour tentures, selles en velours, manteaux brochés ou façonnés, de la forme la plus curieuse et du dessin le plus hardi. Qui veut connaître l’Inde doit l’étudier là; il s’y fera, mieux que dans les livres, une idée de cette civilisation efféminée qui l’a mise à la merci de toutes les conquêtes et de tous les conquérans, depuis Bacchus jusqu’à lord Clive et à lord Wellesley.

Le Portugal a fait un effort dont il faut lui savoir gré : il a quatre exposans avec des gros de Naples, des damas, des tissus pour robes et pour ameublemens, des velours, des satins et quelques mouchoirs de soie plus particulièrement empreints du goût local. L’Espagne reproduit les mêmes articles sur une plus grande échelle; elle a vingt exposans. C’est Barcelone qui a fait tous les frais; Valence manque et laisse une lacune; il y a eu là sans doute une jalousie de voisinage et un petit dépit de famille. Nous y perdons un terme de comparaison et une occasion de juger laquelle des provinces manufacturières de la Péninsule est dans la meilleure voie. Les objets que Barcelone a envoyés ne sont pas sans mérite et portent le cachet du pays. Il y a, entre autres, des châles de satin qui, pour la forme, les dessins et les couleurs, sont en merveilleux accord avec les épaules auxquelles ils sont destinés, des bretelles et des jarretières en soie d’un luxe qui ne nous est pas familier, des mantilles de fantaisie, des chenilles, des rubans de velours et des coi dures qui font rêver à l’Andalousie. A tout prendre, cette obéissance à des coutumes nationales vaut mieux que de mauvaises imitations; l’œil y gagne et l’art échappe à l’uniformité. Si l’on en excepte quelques magasins de modes, il n’y a nul avantage à ce que le chapeau français fasse le tour du monde, comme il en prend le chemin.

On n’accusera pas le pays levantin de sacrifier à l’épidémie régnante. Ce qu’on en voit à l’exposition prouve qu’il entend rester ce qu’il a été, conforme à lui-même et ne se réglant pas sur autrui. Tunis est toujours Tunis dans ses mouchoirs lamés ou brodés d’argent, dans ses sefsaris, dans ses gandouras légers comme des toiles d’araignée, dans ses couvertures brochées et ornées comme en comporte le climat. Tripoli ne déroge pas non plus dans ses étoffes soie et or ou tissées avec les soies de Crète; l’Egypte obéit au même sentiment en multipliant les soieries rayées, qui ont été et sont encore le caprice des harems et la matière employée dans les beaux