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« Les deux hautes parties contractanctes, voulant, d’un commun accord, donner à la présente alliance le caractère et la force d’un pacte de famille, s’engagent réciproquement, au cas qu’une puissance quelconque cherchât à troubler la sûreté et la tranquillité de la Suède et de la Russie, à se prêter, afin de réprimer ces projets hostiles, les secours qui pourraient être nécessaires, et qui n’excéderont jamais le nombre de douze à quinze mille hommes.

« Cet article séparé et secret aura la même force que s’il était inséré, mot a mot, dans la convention additionnelle, et sera signé en même temps. »


Bernadotte était satisfait; il tenait sa principale, sa plus chère récompense. Vienne maintenant une restauration des vieilles monarchie : la sienne, entée sur le tronc russe, se confond avec lui. Même, à y bien regarder, sa dynastie sera deux et trois fois légitime. Adopté comme successeur et comme fils par le roi frère de Gustave III, allié par un pacte de famille à l’empereur de Russie, chef de la maison de Holstein, élu du suffrage populaire, rien ne lui manquera aux yeux de l’absolutisme ou de la démocratie. C’était en vue de ce dernier résultat qu’il avait tout fait. Il avait prévu la chute de Napoléon qu’il allait préparer de sa main, et il prétendait se tenir prêt pour tous les profits et contre tous les revers. — Voilà donc où aboutissent les négociations et les intrigues de plus de deux années : à des traités secrets, à un pacte de famille plus secret encore, à des transactions dans lesquelles la nation n’intervient pas. La nation avait inutilement témoigné sa répugnance pour une alliance avec la Russie : le traité du 24 mars et la convention du 15 juin avaient été signés à son insu. Charles XIII lui-même s’était affligé à l’avance de l’entrevue d’Abo; M. d’Engeström avait refusé d’y suivre le prince, parce qu’il ne voulait pas recevoir de décorations russes; un autre ministre avait, à la fin de la diète, donné sa démission après des scènes violentes; les chefs de la noblesse, les principaux membres des autres ordres avaient fait des représentations énergiques; tout cela n’avait servi de rien. La nation était désormais engagée. La politique de 1812 était fondée.

Le mystère qui couvrit aux yeux de tous, aux yeux de la Suède comme à ceux des gouvernemens étrangers, cette dernière négociation, est chose curieuse ; il atteste combien la ruse était nécessaire en présence des soupçons de l’opinion publique, et dut demander une incroyable adresse. Les dépêches en offrent de bien singuliers témoignages. Toutes les légations y sont trompées cette fois encore. « Les demandes que le prince royal adresse à la Russie, dit M. de Cabre dans une dépêche du 28 août, sont si exagérées qu’on peut lui supposer le désir d’être refusé. On l’a entendu dire l’autre jour : — Comme l’empereur me traite, lui que j’ai tant aimé et que j’aime