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mais à laisser d’abord les trente-cinq mille Paisses à la disposition du tsar; envoyé en toute hâte au général Witgenstein sur la Dvina, ce secours, comme chacun sait, empêcha notre armée du nord de prendre Saint-Pétersbourg. En attendant, Bernadotte continuait ses préparatifs militaires, inquiétant ainsi le Danemark, nous obligeant à laisser dans l’Allemagne du nord un corps considérable pour protéger notre allié, et amortissant par là l’effort de la grande armée. Ce n’était pourtant là que les premières opérations de Bernadotte, qui n’était pas même encore en hostilités ouvertes contre la France. Que serait-ce donc plus tard? Quels succès Alexandre ne devait-il pas se promettre d’un homme de guerre instruit à si bonne école et si complètement dévoué aux ennemis de son ancien maître!

L’expression anticipée de la reconnaissance de l’empereur Alexandre amena le dernier épisode des conférences d’Abo, le traité de famille, qui devint l’objet d’un article séparé et secret ajouté à la convention du 30 août. — Le tsar n’oubliait pas qu’un des soucis les plus constans du prince royal devait être de prévenir tous les dangers qui pourraient menacer sa dynastie naissante; il savait d’ailleurs que les partis n’étaient pas étouffés en Suède, que l’Angleterre et lui-même avaient facilement donné à Bernadotte des inquiétudes en paraissant disposés à prêter quelque appui au roi détrôné ou bien à son fils. Ce fut donc de sa part une manœuvre habile de parler au prince avec un sympathique intérêt de l’avenir de sa famille et des moyens les plus efficaces pour le fonder solidement. Bernadotte courut de lui-même à l’amorce. «Votre majesté, dit-il, est maîtresse du plus puissant empire du monde, forte de droits que les siècles ont consacrés ainsi que de l’amour de ses peuples, votre majesté n’a qu’à vouloir et qu’à persévérer dans sa volonté pour sortir victorieuse de la lutte qui est engagée et rendre la liberté à l’Europe. Combien différente est ma situation! Je ne suis qu’un prince de bivouac, jeté par un heureux sort sur les marches d’un trône. Un temps viendra où, l’Europe étant revenue à ses anciens rapports, un mouvement de réaction pourra bien envelopper et troubler la Suède... Une seule chose me rassure : votre majesté a daigné accepter mon alliance et mon épée, et elle a déclaré qu’elle regarderait toujours mes ennemis comme les siens propres. Je lui serai, pour ma part, complétement dévoué; j’élèverai mon fils dans les mêmes sentimens; la Suède ne cessera jamais d’être votre plus fidèle alliée; ses armes, ses hommages et ses vœux vous appartiennent pour toujours! » Alexandre répondit à ce serment de foi et hommage en offrant de joindre, en sa qualité de chef de la maison de Holstein, son adoption à celle du roi Charles XIII; mais à cette adoption publique, qui pouvait indisposer les Suédois, Bernadotte préféra l’article secret que voici :