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Excepté les agens de l’Angleterre et de la Russie, tout le monde fut trompé par les perfides apparences et par les témoignages contraires à la vérité que multiplia et fit accepter le cabinet suédois. Quelques citations de nos dépêches ne laisseront aucun doute sur ce point. « Le prince royal a dit au ministre d’Autriche avec solennité qu’il n’y avait encore rien d’arrêté avec l’Angleterre, que la Russie lui donnait la Finlande, mais qu’il refuserait, à moins que la France ne le forçât à l’accepter... Quant à une coopération avec les Russes dans la guerre qui se prépare, il a dit qu’elle n’était jamais entrée dans ses plans, et qu’il avait fait déclarer à l’empereur Alexandre qu’il ne devait compter sur aucun appui de la Suède, à moins que Napoléon ne portât ses armes victorieuses au-delà de Vilna. » (Dépêche de M. de Cabre, chargé d’affaires de France, datée du 6 avril 1812.) — « Suchtelen commence à renoncer à l’espoir d’entraîner la Suède à des mesures offensives contre la France... Je suis bien sûr qu’il n’a rien offert de positif, et qu’il s’en est tenu aux espérances et aux flagorneries... » (Id., 4 avril 1812.) « La Suède n’a encore rien conclu contre la France avec la Russie. » (Dépêche de M. de Tarrach, ministre de Prusse, du 12 mai.) — Enfin M. d’Engeström lui-même, le premier ministre du cabinet suédois, ose écrire (dépêche de M. de Cabre, 6 août), dans une missive à M. d’Ohsson, chargé d’affaires de Suède à Paris, que « le roi de Suède est inviolablement attaché au système de sa majesté l’empereur des Français. » Il écrit cela au mois d’août, au lendemain de la ligue offensive conclue, par les soins de Bernadotte, entre l’Angleterre, la Suède et la Russie, après la paix de Bucharest, signée par son active, quoique secrète médiation, après l’alliance formée par ses conseils entre la Russie et les Espagnols, insurgés au nom de Ferdinand VII !

Les moins trompés ne furent pas les Suédois eux-mêmes. Ils furent les premiers que Bernadotte dut vaincre avant d’arriver jusqu’à Napoléon. C’est ici un point important qu’il est nécessaire de bien établir. Nous l’avons dit, l’élection de Bernadotte n’avait été de la part des Suédois qu’un hommage à l’empereur des Français, et sans l’espoir d’obtenir son alliance, le prince de Ponte-Corvo n’aurait pas obtenu de cette nation une seule voix. Combattre la Russie de concert avec les Français, venger la perte de la Finlande et réparer ce déplorable démembrement de leur patrie, voilà quelle était l’unique pensée des Suédois. Bernadotte au contraire, aussitôt élu, imagina et voulut imposer une tout autre politique. Il est vrai que le commerce suédois aspirait à être soulagé des pertes que lui infligeait le blocus continental, mais il redoutait bien davantage la perspective d’une rupture avec la France. Il est bien vrai que le nouveau prince royal rencontra dès son arrivée les scrupules de quelques hommes