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se comprend; c’était ce même cabinet où Alexandre, — le lecteur peut s’en souvenir, — avait dit au ministre de Suède quatre jours avant l’invasion de la Finlande : « Dieu m’est témoin que je ne désire pas un seul village dans les états de votre maître[1]. »

Quand il se fut un peu remis de son trouble, l’empereur demanda à M. de Löwenhielm ce que le prince royal pensait de la conjoncture présente. Le comte, invoquant dès l’exorde les souvenirs pathétiques, fit un court tableau de la situation déplorable de la Suède, entourée au sud et à l’ouest par des ennemis et exposée à leurs attaques du côté de la Norvège sur une ligne considérable qu’elle ne pouvait pas fortifier. L’avenir de la Suède, son présent même étaient sans aucune garantie, et le cabinet de Stockholm devait songer avant tout, lui aussi, à l’acquisition d’une frontière naturelle, à un agrandissement indispensable de son territoire... «Sire, dit-il, c’est la Norvège qu’il nous faut; pour nous point d’indépendance, point de sûreté sans elle. Votre majesté n’y verra que l’accroissement d’une puissance alliée dont les intérêts, dont les principes sont ceux qui vous animent. C’est d’ailleurs le seul moyen d’éteindre la haine nationale qui depuis des siècles divise la Russie et la Suède : nos intérêts et notre activité prendraient dorénavant une autre direction, et notre indépendance serait par là définitivement affermie. » Alexandre n’entendait pas se refuser à l’exécution d’un projet conçu par lui-même; abandonner le Danemark, tout à l’heure son allié, ne lui inspirait aucun scrupule. Toutefois, timide et incertain du succès au moment où la lutte devenait imminente, il craignait que la Suède ne l’abandonnât après avoir obtenu la Norvège : il aurait voulu faire de cette réunion la rémunération des services rendus à sa cause, et non pas la compensation des pertes naguère infligées par lui-même aux Suédois; mais le comte Charles, prémuni par Bernadotte, qui, sachant bien la faiblesse du tsar, avait prévu ses hésitations et lui rendait du reste ses défiances, tenait haut l’alliance de la Suède, et exigeait que l’entreprise commune contre le Danemark précédât toutes les autres opérations. C’était, disait-il, la meilleure diversion à tenter contre Napoléon en même temps que le plus sûr et le plus court moyen d’opérer la réunion projetée. Il y avait d’ailleurs avantage pour la Russie et pour les alliés à ce que le roi de Suède fût, dès le commencement de la guerre, le plus fort possible; son accroissement n’était que l’affaiblissement de l’ennemi et qu’une arme de plus entre les mains de la future coalition.

Alexandre parut céder enfin, entraîné par le désir d’acheter à tout prix l’utile coopération qui lui était offerte. « Eh bien donc! dit-il, je serai fort heureux de pouvoir mettre à profit, en cas de guerre, les

  1. Voyez le second article de cette série dans la Revue du 1er juillet 1855, p. 158.