Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour elle dans l’occasion, quoique les peuples que je viens de voir ne m’aient demandé que de leur conserver la paix à quelque prix que ce put être et de rejeter tout motif de guerre, fût-ce même pour recouvrer la Finlande, dont ils m’ont déclaré qu’ils ne voulaient pas... Mais, monsieur, qu’on ne m’avilisse pas, je ne veux pas être avili. J’aimerais mieux aller chercher la mort à la tête de mes grenadiers, me plonger un poignard dans le sein, me jeter dans la mer la tête la première, ou plutôt me mettre à cheval sur un baril de poudre et me faire sauter en l’air... Voici mon fils (le jeune prince venait d’entrer) qui suivra mon exemple; le feras-tu, Oscar? — Oui, mon papa ! — Viens, que je t’embrasse ! tu es véritablement mon fils... — J’avais tenté plusieurs fois de me retirer, et toujours le prince m’avait retenu. J’étais enfin parvenu à la porte du cabinet, lorsqu’il me dit : J’exige de vous une promesse, c’est que vous rendiez compte exactement à l’empereur de cette conversation.— Monseigneur, répondis-je en me retirant, je m’y engage, puisque votre altesse royale le veut absolument. »


Cette curieuse dépêche est du milieu d’août 1811. A partir de ce moment, Bernadotte n’attend plus rien de la France. Nous l’avons vu pendant toute une année interroger l’avenir et promettre au plus offrant l’alliance et la coopération de la Suède; mais enfin le double appui de l’Angleterre et de la Russie, qui, au lieu de le dédaigner, le recherchent et le flattent, lui paraît plus assuré. En octobre 1811, un agent anglais débarque à Gothenbourg sous un faux nom, échappe aux espions français, voyage la nuit à travers les bois, la glace et la neige, rencontre dans une petite ville de l’intérieur un agent suédois, et convient avec lui des bases d’une alliance dont les calculs de Bernadotte retardent seuls la signature définitive. En décembre, M. d’Engeström, premier ministre, reçoit publiquement dans ses salons, pour lui procurer une conversation officieuse avec le prince royal, la comtesse d’Armfelt, femme de cet Armfelt partisan déclaré de l’ancienne dynastie, ennemi juré de la révolution de 1809, de la France, de ses principes, de Napoléon. Armfelt, aussitôt après l’élection de Bernadotte, avait cru que la Suède allait devenir l’alliée fidèle de Napoléon; né en Finlande, où il possédait de riches propriétés, il avait prêté serment au tsar; Bernadotte avait répondu à cette démonstration en le destituant de toutes ses charges et honneurs et en l’exilant, ainsi que la comtesse sa femme. Tous deux cependant s’étaient trop hâtés; quand Armfelt vit les avances mutuelles que se faisaient le prince et le tsar contre la France, quand Bernadotte comprit que les chefs du parti légitimiste étaient les soutiens naturels de l’influence absolutiste contre les hommes de 1809, qui formaient aussi le parti français, tous deux en même temps conçurent la pensée de se servir l’un de l’autre. Armfelt s’empressa de dresser un mémoire en vue d’une guerre contre la France.


« La Russie, écrit-il dans ce mémoire, a pour mission de sauver l’Europe.