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« Le prince royal, dit M. Alquier, après avoir énuméré ce qu’il appelait les abus de pouvoir des consuls français à Gothenbourg et à Stralsund, s’écria avec des signes de dépit : Il est bien singulier qu’après avoir rendu de si grands services à cette France, j’aie continuellement à me plaindre de ses agens! —Vous vous plaignez étrangement de cette France, monseigneur, répondis-je. Si vous l’avez bien servie, il me semble qu’elle vous a bien récompensé. J’oserai vous demander, moi, ce que vous avez fait pour elle depuis votre arrivée en Suède, si l’influence française s’est accrue dans ce pays par votre avènement, quelles preuves d’intérêt ou de dévouement vous avez données à l’empereur depuis près d’une année?... Et je me mis à énumérer les infractions au traité de Paris, etc. Le prince m’interrompit : Ce sont là, monsieur, des récriminations, dit-il. Je sais que vous vous plaignez des relation-de M. de Tavast avec l’amiral Saumarez, et de ce que cet officier commande encore à Gothenbourg; mais je n’aurais pas pu le retirer sans mécontenter tous mes généraux. Au reste je ne ferai rien pour la France tant que je ne saurai pas ce que l’empereur veut faire pour moi, et je n’adopterai ouvertement son parti que lorsqu’il se sera lié ouvertement avec nous par un traité; alors je ferai mon devoir. Au surplus je trouve un dédommagement et une consolation dans les sentimens que m’a voués le peuple suédois. Le souvenir du voyage que je viens de faire ne s’effacera jamais de mon cœur. Sachez, monsieur, que j’ai vu des peuples qui ont voulu détacher mes chevaux et s’atteler à ma voiture ! En recevant cette preuve de leur amour, je me suis presque trouvé mal. J’avais à peine la force de dire aux personnes de ma suite : Mais, mon Dieu! qu’ai-je fait pour mériter les transports de cette nation, et que fera-t-elle donc pour moi lorsqu’elle me sera redevable de son bonheur ! J’ai vu des troupes invincibles, dont les hurras s’élevaient jusqu’aux nues, qui exécutent leurs manœuvres avec une précision et une célérité bien supérieures à celles des régimens français, des troupes avec lesquelles je ne serai pas obligé de tirer un seul coup de fusil, à qui je n’aurai qu’à dire : En avant, marche! des masses, des colosses qui culbuteront tout ce qui sera devant eux... — Ah! c’est trop, lui dis-je, si jamais ces troupes-là ont devant elles des corps français, il faudra bien qu’elles nous fassent l’honneur de tirer des coups de fusil, car assurément elles ne nous renverseront pas aussi facilement que vous paraissez le croire. — Je sais fort bien ce que je dis, reprit-il; je ferai des troupes suédoises ce que j’ai fait des Saxons, qui, commandés par moi, sont devenus les meilleurs soldats de la dernière guerre. — Je profitai du moment pour faire quelques insinuations sur l’inutilité des augmentations de troupes. — Je suis au contraire plus résolu que jamais à lever de nouvelles troupes, répondit le prince. Le Danemark a cent mille hommes sous les armes, et j’ignore s’il n’a pas quelque dessein contre moi. D’ailleurs je dois me prononcer contre l’exécution du projet entamé par l’empereur aux conférences d’Erfurt pour le partage de la Suède entre le Danemark et la Russie... Je saurai me défendre, et il me connaît assez pour savoir que j’en ai les moyens. Personne ici ne me fera la loi. Les Anglais ont voulu se montrer exigeans avec moi; eh bien ! je les ai menacés de mettre cent corsaires en mer, et à l’instant ils ont baissé le ton... Quels que soient d’ailleurs mes sujets de plaintes contre la France, je suis néanmoins disposé à faire tout